Vous êtes à l’arrêt et vous faites la file, l’autobus arrive, vous entrez, vous payez et s’il y a de la place vous vous assoyez. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre comment le transport en commun fonctionne. Pourtant, si je vous disais que cette façon anodine de prendre l’autobus est une invention montréalaise, seriez-vous surpris?
Vers la fin du 19e siècle, le système de tramway de Montréal fait l’envie de plusieurs en Amérique du Nord. En tête de liste, la Montreal Street Railway Company fondée en 1886 devient rapidement une experte et réussit à réinventer notre façon de se déplacer.
La Montreal Street Railway Co.
La Montreal City Passenger Railway Company inaugure en 1861 un service de tramway hippomobile. Renommée Montreal Street Railway (MSR Co) en 1886, elle prend rapidement la décision de revoir la façon dont les Montréalais utilisent le transport en commun. Dès 1890, les dirigeants se tournent vers l’électricité au lieu des voitures avec chevaux. Le 21 septembre 1892 fait l’apparition, lors de son voyage inaugural, le « Rocket », premier tramway électrique de Montréal. En 1894, les dernières lignes hippomobiles sont toutes converties pour accueillir les nouveaux tramways à propulsion électrique. La MSR Co était reconnue comme l’une des compagnies des plus novatrices et des plus modernes en Amérique du Nord.
En 1905, ils font breveter et introduisent sur leur réseau les tramways observatoires. Sans toit avec des rangées de sièges placées en escalier vers l’arrière proposent une vue intéressante à tous les passagers. Pour un tarif de 25 sous, les véhicules de couleur crème et ornés de cuivre sont utilisés pendant l’été pour offrir une excursion en plein air de 16 km autour de la montagne passant de la colline Westmount au sommet Mont-Royal. En plus de ces voitures touristiques, l’autre « invention » important de la compagnie est sans aucun doute celui du système P.A.Y.E,,
La collection
Depuis le début du transport en commun vers 1830, la perception des tarifs était restée plus ou moins la même. Le passager monte dans la voiture, trouve un siège et attend que le conducteur vienne pour se faire payer. Si ce système fonctionnait relativement bien avec les tramways moins encombrés, c’était une tout autre histoire en période achalandée.
Le conducteur devait se frayer un chemin dans la foule, probablement rater quelques passagers sans parler de ceux ou celles qui voyageaient sur une plus courte distance qui pouvaient embarquer et débarquer quelques arrêts plus loin sans même avoir croisé le collecteur. S’il ne faut pas le dire trop fort, il y avait également le problème de la malhonnêteté où des chefs de train pouvaient empocher la monnaie sans nécessairement tout redonner à la compagnie.
En 1904, la Montreal Street Railway Co. avait introduit de plus grandes voitures, de conception plus moderne, comprenant, entre autres, une plateforme arrière plus spacieuse. C’est ce point marquant qui donnera une idée à deux de leurs dirigeants, messieurs Duncan McDonald et William Gillies Ross.
Pay As You Enter
Rétrospectivement, l’idée est pourtant toute simple, réorganiser la plateforme plus large des nouveaux tramways en y installant des garde-corps pour séparer les passagers entrants de ceux déjà a bord. Le chef de train serait posté avec sa boîte de collection sur la plateforme, entre les deux portes accueillant les usagers qui devaient payer avant d’aller prendre leur siège. L’espace était suffisant pour recevoir une trentaine de personnes à un arrêt donné, de sorte que la voiture pouvait avancer pendant la collecte.
Le système appelé « Pay-as-you-enter » ou P.A.Y.E sera rapidement testé sur un de ces nouveaux tramways. Le 4 mai 1905, le train numéro 890 est apparu sur la ligne de la rue Ontario et devenait donc la première vraie voiture de type P.A.Y.E. au monde. Il est resté en service environ 18 jours et a été temporairement mis à la retraite à la suite d’un accident non lié à ses nouvelles caractéristiques.
Quand le tram refait son apparition quelques mois plus tard, il porte maintenant le 900 désignant une nouvelle série. Les numéros de cette lignée sont peints en gros chiffre très visible à l’avant de la cabine indiquait que les usagers avaient affaire avec un tramway équipé du nouveau système de collection. Leur donnant ainsi la chance de se préparer et avoir leur monnaie en main avant la venue du train. Avant la fin de 1905, vingt autres similaires véhicules avaient été construits, un certain nombre de voitures plus anciennes avaient été converties et la deuxième génération beaucoup plus grande des voitures P.A.Y.E étaient déjà en fabrication. Finalement, en 1920, pratiquement toutes les lignes de la Montreal Street Railway Co, connue depuis 1911 sous le nom de Montreal Tramway Co, sont équipées de ce système.
P.A.Y.E ailleurs
L’idée montréalaise n’est rien de moins qu’un succès et plusieurs grandes villes d’Amérique du Nord adopteront rapidement le système P.A.Y.E.. Celui-ci sera présenté en grande pompe entre 1906 et 1907 à coup de marketing dans les magazines spécialisés et les salons commerciaux. Une compagnie connexe sera fondée par Duncan McDonald, La Pay-as-you-enter Car Corporation qui fera breveter le concept et ouvrira plusieurs bureaux en Amérique du Nord avec son siège social au New Jersey et une chaîne de montage aussi aux États-Unis.
Le 22 octobre 1907, le New York Times publie un article sur le système montréalais qui commence à faire des petits dans la grosse pomme. Le journaliste doute des capacités aux gens de s’habituer à sortir leur argent ou ticket d’avance tant et aussi longtemps qu’ils ne comprendront pas que ce soit à leur avantage. Comme il le mentionne « New York n’est pas Montréal »
Pay-as-you-enter fera son apparition à Chicago puis à Los Angeles. Même Hollywood se mettra de la partie avec une comédie de Warner Bros en 1928. Le Film muet dont il ne reste plus aucune copie aujourd’hui et qui a pour titre « Pay as you enter » raconte l’histoire d’un triangle amoureux entre une passagère et un conducteur. Le long métrage met en vedette Louise Fazenda, Clyde Cook, William Demarest et je n’ai aucune idée qui ils sont, mais devaient être populaire à l’époque.
Qu’en reste-t-il ?
Si le système est bien utilisé en Amérique du Nord, il restera marginal dans d’autres parties du globe où la vieille façon de percevoir les passagers pendant la route est encore bien établie. Certains pays ont adopté le concept contraire où le paiement se fait à la sortie qui probablement revient plus ou moins au même.
Les nouvelles technologies viendront une fois de plus modifier nos habitudes. Elle permettent le paiement par carte offrant l’opportunité d’entrer par toutes les portes de l’autobus, cette méthode est d’ailleurs actuellement en essai sur certaines lignes d’autobus. Notre Société de Transports de Montréal, qui malgré tout mon amour pour eux et le fait que j’utilise toujours encore mon lecteur de carte opus à la maison datant de 2015, n’ont malheureusement pas la hargne novatrice que leurs ancêtres de la Montreal Street Railway Company pouvaient avoir.
Ressources: Canadian Rail Magazine, No. 353, Juin 1981
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