Toponymie contestable: John A. Macdonald

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En 1871, la Colombie-Britannique se joint à la confédération canadienne encore toute récente. Comme de nos jours, la communauté chinoise est un noyau important de la population de la nouvelle province après à une vague d’immigration vers 1858-60. Par contre, des lois fédérales et provinciales empêchent les expatriés asiatiques d’avoir des postes professionnels comme médecins, avocats, instituteurs ou même pharmaciens.

Les gens de cette communauté sont en grande partie responsables de la construction du chemin de fer vers la Colombie-Britannique qui verra la création du Canada d’un océan à l’autre. Le premier ministre, John A Macdonald ouvre la porte à l’immigration chinoise dans ce grand projet de nation à l’aide du chemin de fer et le Canada devient alors un pays d’opportunités pour beaucoup d’entre eux.

Une main d’œuvre jetable

Malheureusement, dès que les derniers rails auront été posés au milieu des années 1880, cette porte se refermera assez rapidement. Le gouvernement Macdonald instaure la Loi de l’immigration chinoise de 1885. Cette législation stipule qu’un nouvel arrivant chinois doit payer entre 50 $ et 300 $ pour venir s’installer au pays. Un ouvrier peut gagner en moyenne à cette époque environ 300 $ par année.

Mise en contexte, cette somme de 50 $ devient alors une surcharge financière substantielle pour ceux qui essaient de quitter la Chine. Il y a un sentiment anti-chinois en Amérique du Nord et qu’une loi semblable est également votée au Congrès américain en 1882.

En plus de la taxe, l’entrée au Canada est grandement contingentée avec des refus d’accès aux malades, aux gens âgées, à ceux et celles qui vivent du travail du sexe et finalement, selon l’humeur de l’agent responsable de la personne qui tente d’immigrer.

Certificat d'immigrant chinois ayant payé 500$ en 1918.
Certificat d’immigrant chinois ayant payé 500$ en 1918.

Macdonald est ouvertement raciste envers les Chinois. Selon lui, ceux-ci, n’ayant aucune racine européenne et britannique sont de loin inférieurs. Il va jusqu’à offrir l’hypothèse que les Européens et les Asiatiques sont des espèces entièrement différentes. « Le caractère aryen de l’avenir de l’Amérique britannique sera détruit si nous leur donnons le droit de vote ».

Voilà l’argument qu’il utilisa en chambre pour mettre en vigueur l’Acte du cens électoral de 1885 qui refuse explicitement aux Canadiens d’origines chinoises le droit de vote. Lisez ici « d’origines chinoises, » c’est-à-dire que même si votre arrière-grand-père a immigré au Canada lors de la première ruée vers l’or et que vous êtes né au pays, vous n’êtes pas admissible au vote.

Cette loi sera en vigueur au fédéral pendant 13 ans et des règles similaires seront en usage en Saskatchewan et en Colombie-Britannique jusqu’en 1948.

Camp de travailleur chinois sur le Canadien Pacifique, Yale, B-C, circa 1885
Camp de travailleur chinois sur le Canadien Pacifique, Yale, B-C, circa 1885
Source: Parcs Canada Annuaire des désignations patrimoniales fédérales

Pourquoi on parle de B.C ?

Pourquoi vous force-t-on à lire quatre paragraphes sur les lois anti-asiatiques de l’ouest du 19e siècle dans un blogue sur Montréal? C’est pour vous présenter un nouvel épisode dans notre série sur les toponymes contestables de la Ville. Après Jeffrey Amherst, Charles Wilson et Lionel Groulx, on se tourne vers le père fondateur de la nation, John A. Macdonald..

En 2019, cette loi serait inévitablement traitée de barbare. Exclure une nationalité supposément inférieure à la sienne, jugée par la couleur de sa peau ou par sa religion, serait pratiquement impossible à passer en chambre dans des pays civilisés d’Europe, au Canada ou aux États-Unis. (C’est du sarcasme en passant.)

Mais qu’en est-il de 1885? Ces tactiques de suppressions furent considérées comme racistes par l’opposition minoritaire qui deux ans après son arrivé en poste redonnera droit de vote à la communauté chinoise., mais, c’est aussi Wilfrid Laurier qui augmentera la taxe d’entrée à 500 $ dès 1903.

Les toponymes

À Montréal, Macdonald est rappelé de plusieurs façons. Mais seulement deux toponymes sont nommés en honneur du premier ministre. Premièrement, une toute petite rue résidentielle longue de 50 mètres dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Cet odonyme serait facilement remplaçable et un mal de tête que pour quelques adresses.

Avenue Macdonald, St-Laurent
L’avenue Macdonald, Arrondissement de St-Laurent

Le deuxième est plus important et relativement récent, tellement que je suis assez certain que certains d’entre vous ne savent même pas que cette rue porte un nom. En 1993, un plan directeur de développement du Parc des îles (parc Jean-Drapeau) est présenté par la Ville. C’est ce plan qui donnera naissance entre autres à la plage Doré et à la mise en valeur de la Biosphère.

Chemin Macdonald, Parc Jean-Drapeau
Chemin Macdonald, parc Jean-Drapeau

C’est aussi par souci de faciliter le déplacement sur les îles que l’on nomma le réseau routier de façon officielle. On verra l’apparition des toponymes sur des panneaux comme les chemins des Floralies, du Tour-de-l’isle et bien sûr, le chemin Macdonald.

Parce que l’exposition universelle a eu lieu la même année que le centenaire de la confédération canadienne, baptiser une des rues principales en honneur du père du Canada avait plein de gros bon sens.

Situé entre La Ronde et le pont de la Concorde, le Chemin Macdonald est la voie la plus utilisée du parc Jean-Drapeau. Parcourant la rive Est de l’île Sainte-Hélène, cette route est souvent empruntée par ceux qui veulent se rendre dans la cité du Havre, au Casino ou même dans le Vieux-Montréal à partir du pont Jacques-Cartier.

John A. Macdonald, Circa 1861-1863
John A. Macdonald, Circa 1861-1863
Source: Bibliothèque et Archives Canada, MIkan 3218710

John Alexander Macdonald

Il est né à Glasgow en Écosse en janvier 1815 et, après un échec financier de son père, a immigré en 1820 avec sa famille de classe moyenne à Kingston dans le Haut-Canada (Ontario). Malgré une éducation modeste, John est déjà à l’âge de 15 ans à l’emploi d’un bureau d’avocat où il apprendra le métier. À 24 ans, il ouvre son propre cabinet avec un certain Alexander Campbell, un autre Écossais au Canada.

D’abord à Lachine et Montréal avant de se retrouver à Kingston où il fera connaissance de notre protagoniste. Campbell, ministre de la Justice dans le cabinet de Macdonald, est une des personnes responsables du procès et éventuellement de la pendaison de Louis Riel en 1885.

Avec six victoires électorales et une seule défaite, Macdonald eu deux périodes au pouvoir, de 1867 à 1873 et une deuxième 1878 à 1891. Il décéda pendant son mandat le 6 juin 1891, trois mois après avoir vaincu les libéraux de Laurier. Macdonald est crédité pour beaucoup de ce qui a façonné le Canada que l’on connaît aujourd’hui.

En plus du train transcontinental dont on discutait plus tôt, c’est en grande partie grâce à lui que le Canada est ce qu’il est maintenant et non des petits pays séparés ou tout simplement des états américains. Il instaura un système de tarifs protectionnistes pour contrer les compagnies américaines et on lui doit la création de l’ancêtre de la GRC. La North-West Mounted Police avait comme rôle de patrouiller les Territoires du Nord-Ouest qui à l’époque comptait aussi sur les terres qui deviendront le Yukon, l’Alberta, la Saskatchewan et le Nunavut.

poster électoral
Poster Électoral, 1891
Source: Bibliothèque et Archives Canada
MIkan 2895721

Le Scandale du Pacifique

J’reviens su’a track de train. Pour solidifier l’entrée de la Colombie-Britannique au pays en 1871, le premier ministre promet le chemin de fer pour relier la nouvelle province de l’Ouest aux centres d’affaire de l’Est que sont Toronto et Montréal.

Deux groupes se battent pour l’entente lucrative de la construction, le montréalais Hugh Allan avec son Canadien Pacifique et l’Inter-Oceanic Railway Co. de David Lewis Macpherson. Comme vous n’avez jamais entendu parler d’une des deux compagnies, vous savez déjà qui a eu le contrat.

En 1873, des preuves démontrent qu’Allan a fait des contributions importantes au parti Libéral-Conservateur de John A. Macdonald, ce qui a avantagé le Canadien Pacifique. Le scandale de pot de vin viendra éclabousser directement le Johnny qui se verra dans l’obligation de démissionner de son poste.

Le scandale n’eut pas d’effet négatif à moyen terme sur Macdonald, le parti conservateur et sur le Canadien Pacifique. Il reviendra au pouvoir durant les élections de 1878 après que le nouveau PM, le libéral Alexander Mackenzie soit grandement blâmé pour la dépression économique qui frappa le pays au cours de son mandat. Les Torys reprendront donc la chambre jusqu’en 1896. Comme quoi que ce n’est pas d’hier que les Canadiens ont la mémoire courte et qu’ils réélisent ceux qu’ils ont eux-mêmes chassés suite à des crimes.

Génocide autochtone ?

Est-ce que John a. Macdonald était raciste, oui, la preuve a bien été établie dans le cas des immigrants d’origine chinoise. À sa défense, il faut avouer que la très grande majorité des Canadiens l’étaient aussi.

Si vous êtes blanc, de descendance européenne, les chances que vos ancêtres étaient anti-amérindiens sont très, très élevées. Par contre, si vos ancêtres sont comme les miens, ils étaient probablement racistes dans leur salon et on ne leur érigent pas de statues ou on ne nomme pas des écoles en leurs noms.

Caricature, juin 1885
Caricature, juin 1885

Les bases de ce qui appauvrit toujours les communautés amérindiennes, principalement dans les prairies, ont pratiquement toutes été établies durant les 18 ans au pouvoir de Macdonald. Pour faire passer le chemin de fer, il a instauré un système de réserves et de pensionnats qui se sentent encore.

La rébellion des Métis du Manitoba dirigés par Louis Riel en est un parfait exemple, enlever les droits à un groupe de personnes parce qu’ils ne sont pas de votre bord, voilà un bel échantillon d’inclusion canadienne n’est-ce pas.

Un procédé de « passeport » est établi par le gouvernement. Un autochtone à l’extérieur de sa réserve sans ce document et sans permission pouvait se voir arrêter et jeter en prison. Les premières nations n’avaient pas le droit d’acheter ou de vendre produits et services aux hommes blancs.

Le pire, le gouvernement canadien a créé de toute pièce des famines en réduisant les rations entrant dans les réserves pour mettre au pied les habitants. Ni plus ni moins, les réserves étaient des prisons à aire ouverte.

Pensionnat Amérindien
Cross Lake Residential School, 1940
Source: Bibliothèque et Archives Canada

Comme pour faire un pied de nez, Wilfrid Laurier a son monument dans le square Dorchester en face de l’autre et tant qu’à discuter de lui, rappelons-nous une phrase célèbre du premier ministre libéral. « Il est moral de prendre les terres des sauvages, tant et aussi longtemps qu’ils aient été compensés adéquatement ». Il faut donc se rendre à l’évidence, la majorité des blancs au 19e et une bonne partie du 20e siècle étaient racistes, juste à différent niveau. Nous devons juger les personnalités marquantes en contexte de leurs époques.

Honorer ou non ?

Si le monument à Macdonald de la place du Canada se voit vandaliser à répétition, si l’hôtel de ville de Victoria en Colombie-Britannique a décidé de déboulonner sa statue et si des écoles en Ontario se questionnent sur un éventuel changement de noms, peut-être qu’il y a place à discussion.

Pour les détracteurs de l’idée, enlever une statue ce n’est pas effacer l’histoire, c’est célébrer ceux qui le méritent un peu plus.

Rendons à Macdonald ce qui appartient à Macdonald. Il sera toujours le premier premier ministre, il sera toujours le bâtisseur du Canada moderne et sera toujours un politicien d’envergure. Il faut ajouter un paragraphe à sa biographie, qu’il a réussi ses exploits sur le dos et avec l’aide des opprimés de cette période.

Photos des différents monuments à John A Macdonald vandalisés
Photos des différents monuments à John A Macdonald vandalisés dans le Canada

Est-ce que Macdonald mérite une place dans la toponymie? Oui sans aucun doute, que je sois d’accord ou non avec ses actions, peut-être pourrions-nous remplacer la statue si ce n’est que pour arrêter les vandales, ne pas aseptiser l’histoire et appeler un rat un rat.

Pour ceux ou celles qui n’y comprennent rien, ne vous inquiétez pas, vous ne seriez pas les premiers. Des lois qui visent des nationalités ou des religions particulières, réélire des gouvernements qui acceptent des pots-de-vin de grandes compagnies ou bien isoler les Amérindiens et les Inuits parce que ça fait notre affaire, que nous soyons en 1873 ou en 2019, il faut croire qu’on a les toponymes qu’on mérite.

Montréal dans ta pipe semble avoir été inspiré par les mêmes événements que nous puisqu’il a publié quelques jours avant nous cette vidéo sur le premier ministre. Je vous laisse donc sur ses images.

John A. Macdonald par Montréal dans ta pipe.

Quelques ressources:
Clearing the Plains: Disease, Politics of Starvation, and the Loss of Indigenous Life, Jams Daschuk, 2014.
Biographi.ca: Sir John Alexander Macdonald
Canada’s History: Canada’s Father figure




Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.