LOVE, LHotel et Marciano

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Nous nous retrouvons à bord d’un de ces autobus qui transportent les touristes devant les maisons des célébrités à Berverly Hills, la guide raconte pendant qu’on passe face à un manoir avec 11 Ferrari garées et quelques œuvres d’art juste derrière les grilles. « Georges Marciano habite ici, vous savez, le fondateur de Guess Jeans ». 

Un guide bien informé aurait pu poursuivre en décrivant Marciano comme un exemple classique de réussite américaine, un immigrant venu de l’Algérie, né en 1947, pauvre, qui a amassé une fortune grâce à son travail acharné et son sens des affaires.

Le guide aurait pu mentionner les deux autres résidences somptueuses de Marciano sur Sunset Boulevard, son Boeing 737, la collection d’art comprenant des œuvres de Marc Chagall et d’Andy Warhol, un diamant de 84 carats qu’il a nommé au prénom de sa fille Chloé et sa campagne autofinancée, mais peu remarquée pour devenir gouverneur de la Californie.

Cette vidéo date de plusieurs années. Ces jours-ci, les autobus n’ont plus de raison de s’arrêter. Les Ferrari sont parties, des créanciers ont réclamé les biens de Marciano et l’homme lui-même a disparu.

Les plus futés d’entre vous auront peut-être remarqué d’intéressants détails dans cette courte vidéo de 39 secondes qui l’a relie à Montréal. Mais pour ceux et celles qui comme moi ne connaissent pas l’histoire du richissime magnat du denim, voici un rapide résumé.

Disparu? Vraiment?

Georges Marciano et ses frères ont fondé l’étiquette de vêtement Guess qui s’est hissée au sommet en un rien de temps. Mais pendant que l’argent entre dans une poche, Georges les dépenses de l’autre. En plus des voitures sport et du manoir de 24,5 millions de dollars américains sur Crescent Drive à Beverly Hills, sa collection regorge d’armes anciennes, des bijoux et surtout des œuvres d’art uniques.

En 1993, il vend sa participation de 40 % dans Guess pour 220 millions de dollars et se plonge dans le monde de l’immobilier, mais il semble succomber à la paranoïa et cette situation a atteint son paroxysme en 2007. Il accuse sept anciens employés d’avoir volé des œuvres d’art, du vin et d’autres objets dans sa maison, les soupçonnant d’avoir détourné un total de 1,4 million.

Le FBI, l’IRS, le bureau du procureur des États-Unis et la police de Beverly Hills refusent les demandes de Marciano de poursuivre ses employés. Selon le juge de l’état, ses allégations se révèlent infondées et les accusés, probablement flairant la bonne affaire iront d’une contre-attaque d’où ils sortiront vainqueur. Georges doit maintenant leur payer la modique somme de 260 millions de dollars pour diffamation.

Selon un article publié dans le L.A. Times; le sexagénaire, après un amer divorce, se met à abuser des analgésiques et affectionne les femmes à peine sorties de l’adolescence. Le « self-made man » est devenu, aux yeux de plusieurs, un homme qui s’est aussi détruit tout seul.

Georges Marciano devant son manoir de Beverly Hills
Photo : Source Inconnue

La fuite de Marciano

Suite aux verdicts, les anciens employés entreprennent de saisir les actifs de Marciano évalué à 175 millions de dollars. Peu à peu, les Ferrari disparaissent discrètement et du personnel remarque les déménageurs emporter un coffre-fort que Marciano utilise pour stocker des tableaux, le diamant portant le nom de sa fille et d’autres objets de valeur.

Marciano déclare faillite évaluant sa fortune à un peu plus de 2,3 millions d’actifs. Le syndic fait valoir que ces annexes étaient «?incomplètes et inadéquates?» et ne tenaient pas compte de l’ancienne richesse de Marciano.

Du jour au lendemain, le manoir de Beverly Hills est vidé et se retrouve sur le marché immobilier. Les voitures changent de mains et dans plusieurs tours de passe-passe, l’immense collection d’art qui pourrait remplir un musée au grand complet est sortie des États-Unis, transférée à la fiducie familiale C.K.S.M. établie dans un paradis fiscal, Montréal.

Les procédures judiciaires se multiplient alors dans les deux pays. Aux États-Unis, le tribunal des faillites octroie un mandat d’arrestation en 2012 et même s’il a fait appel de la décision, Marciano ne peut plus retourner aux États-Unis.

Le Vieux-Montréal

Entre 2006 et 2009, Georges se tourne vers l’immobilier montréalais où il investit plus de 83 millions sur 18 bâtiments incluant même une érablière à Plessisville, une ferme de lavande, l’hôtel Rasco de la rue Saint-Paul et l’édifice Aldred de 23 étages sur la Place d’armes tous deux revendus en 2014.

Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal sur la rue Saint-Jacques, vers 1900
Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal, vers 1900
Photo : Musée McCord, VIEW-3221

Le joyau est sans aucun doute l’Hôtel XIXe siècle situé au 262 rue Saint-Jacques où habite Marciano. Conçu par l’architecte Michel Laurent, le bâtiment de l’ancien siège social de la Banque d’épargne de la cité et du district de Montréal abrite aujourd’hui LHotel Montréal.

La construction de la banque aux inspirations tantôt britannique, tantôt Second empire se fait en plusieurs étapes, débuté en 1871, on retrouve son état actuel que vers 1924. L’endroit garde sa fonction financière, maintenant connue sous le nom de Banque Laurentienne jusqu’en 1989. On retrouve aussi à l’étage quelques bureaux dont celui d’un jeune avocat et futur maire de Montréal, un certain Jean Drapeau.

Au début du 21e siècle, l’immeuble est transformé en établissement hôtelier et l’Hôtel du XIXe siècle ouvre ses portes en 2001.

Les Oeuvres de Marciano dans le restaurant de LHotel
Les Oeuvres de LHotel

Un réel musée

C’est totalement unique au pays, et encore plus à Montréal. Il y a des gens qui ont un Jim Dine ou un Andy Warhol, mais nulle part ailleurs dans cette ville on ne peut voir une collection aussi variée de pop art américain. Je ne suis pas sûr s’il sait exactement ce qu’il a ici. Il a des choses que le Musée des Beaux-Arts de Montréal serait envieux de posséder.

Barbara Silverberg, Consultante en Art en entrevue avec le Maclean’s, 2010

Plusieurs d’entre vous auront certainement capturé un égoportrait devant l’œuvre de Robert Indiana en face de LHotel ou bien avoir jeté un coup d’œil sur le tournesol de Fernand Léger longtemps placé à proximité du Musée des Beaux-Arts de Montréal. Ces œuvres iconiques constituent les plus gros morceaux de la collection de l’homme d’affaires évaluée à plus de 200$ millions.

Maintenant, retourné à la vidéo et vous remarquerez les sculptures que je viens de mentionner. Indiana est l’artiste derrière le très reconnaissable LOVE placé devant la porte de l’établissement tandis que la fleur géante de Léger s’est promenée entre le Vieux-Port et le MBAM avant de prendre sa place elle aussi devant l’immeuble

La devanture avec les œuvres de Robert Indiana (Love) et de Fernand Léger (Tournesol)
La devanture avec les œuvres de Robert Indiana (Love) et de Fernand Léger (Tournesol)

Le hall de l’hôtel regorge d’œuvres d’artistes comme Jim Dine, Jaume Plensa et César Baldaccini. Sans compter 25 tableaux d’Andy Warhol, dont une très célèbre de Marciano lui-même. La collection personnelle de pop art de Marciano tapisse les murs et les sols. Il s’agit de l’une des plus grandes d’Amérique du Nord.

Si dans certains hôtels vous avez sûrement croisé des imprimés d’artiste connus, ici, c’est plus de 250 œuvres originales d’artistes de premier plan, dont des Botros et des Liechtenstein (mon peintre favori).

Promenez-vous entre les bars, en passant par les couloirs et les chambres, et vous trouverez de nombreux chefs-d’œuvre sur votre chemin. Il n’est pas rare de trouver au dessus de votre lit, une peinture valant une petite fortune.

L’intérieur du Restaurant avec le Warhol de Marciano à l’arrière
L’intérieur du Restaurant avec le Warhol de Marciano à l’arrière
Photo : LHotel Montréal
Des corridors et des corridors d’œuvres originales d’artistes internationaux
Des corridors et des corridors d’œuvres originales d’artistes internationaux

Saisir ou ne pas saisir

Je n’entrerais pas dans les dédales juridiques, ce n’est pas mon domaine et c’est trop compliqué.

En 2011, des huissiers se pointent, avec rien de moins qu’une grue et débutent une des saisies judiciaires les plus spectaculaires de la province. Le diamant de 84 carats, les œuvres d’art, les immeubles, les voitures, rien n’est hors de la porter de main de la loi. Les créanciers s’étant tournés vers la Cour supérieure du Québec pour faire entendre leur cause.

Deux mois plus tard, un différent juge de la cour supérieure infirme le jugement de sa collègue et remet à Marciano tous les biens saisis. Leur argument est simple. La décision de la cour de Californie obtenue en 2009 est exagérée et contraire à l’ordre public canadien.

La sculpture « Volumptuous Man on a horse » de Fernando Botero sur un semi-remorque durant une saisie des oeuvres de Marciano
La sculpture « Volumptuous Man on a horse » de Fernando Botero sur un semi-remorque durant une saisie
Photo : Alain Roberge, La Presse, 2011

La danse recommence en 2011 avec la décision de la cour d’appel et une fois de plus, des biens sont saisis. En 2015, l’homme maintenant un habitué des combats juridique dépose en cours de Californie une requête pour empêcher Guess Jeans d’utiliser le nom de « Marciano » afin d’éviter la confusion avec les propres marques de l’ancien fondateur.

Rappelons que Guess jeans est alors encore la propriété de Paul, Maurice et Armand, les frères de l’hôtelier. Le dilemme vient de la nouvelle griffe Georges Marciano Ranch qu’il tente de lancer avec une marque déposée au canada, mais contestée par Guess Inc.

La vie des gens riches et célèbres offre des rebondissements, que nous, vulgaires paysans ne peuvent se permettent. Plus tôt cette année, un documentaire « The Guess Brand Story: Told by Paul and Maurice Marciano » ravive la chicane de famille, preuve que l’argent ne fait pas le bonheur, mais ça aide à se procurer un diamant de 84 carats par contre!

Malgré les rebondissements depuis sont arrivé en 2009, je vous invite tout de même à jeter un coup d’œil sur la collection d’œuvres d’art du designer. Puisqu’on ne sait jamais quand une grue pourrait reprendre au nom de la loi et l’ordre le LOVE et les autres trésors « cachés » sur le trottoir de la rue Saint-Jacques.

L’argent va et vient, si je perds tout, je serai un très bon serveur. J’étais un serveur avant ; je serai un serveur maintenant. Oui, je vis dans mon propre hôtel, mais je peux être heureux en vivant dans une petite chambre.?»

Georges Marciano, 2010
Une grue saisie l’œuvre LOVE de Robert Indiana devant LHotel rue Saint-Jacques
Une grue saisie l’œuvre LOVE de Robert Indiana devant LHotel rue Saint-Jacques
Photo : Alain Roberge, La Presse, 2011

Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.