Les projets les plus amusants sont souvent ceux que nous n’avons jamais construits. Je vous ai déjà parlé du téléphérique entre l’île Sainte-Hélène et le mont Royal ou bien le stade de la place de la Confédération. Permettez-moi donc de vous présenter le projet d’un jeune ingénieur de Jonquière qui propose la construction d’un monorail sur le boulevard Dorchester.
Le projet de Réseaux Express Métropolitaint (REM) de l’est de la ville s’est fait renvoyer à la planche à dessin après avoir proposé d’ériger son système aérien de train léger autonome sur une partie importante du boulevard René-Lévesque.
Eh bien, c’est exactement le même scénario et avec les mêmes arguments qui ont été offerts à Michel Milot et Lockheed Aircraft quand ils ont proposé à la ville de Montréal des économies importantes s’ils optaient pour leur monorail aérien au lieu d’un métro souterrain.
Une vieille idée
Le jeune ingénieur ayant faits ses preuves chez Canadair, Boeing et Bell n’est pas le premier à offrir cette proposition. Des trams suspendus ou monorail sont avancés depuis déjà plusieurs décennies.
La circulation dans les rues bourgeonnantes de Montréal est un débat de société, un marronnier dont les journaux locaux adorent s’emparer quand la mairie n’est pas de leur côté de l’échiquier politique. Croyez-moi, cette phrase fait autant allusion à 2022 qu’à 1947.
En 1947 alors que les discussions pour un métro sont déjà bien avancées un certain M. Peto de New York propose à la ville de Montréal de construire un tramway suspendu dont l’opération coûterait meilleur marché et qui n’aurait pas la laideur des lignes surélevée de New York.
Les véhicules circuleraient à 25 mètres au-dessus des voies routières divisées par les piliers retenant la structure. Toujours selon M. Peto, le coût serait un huitième de la construction d’un transport souterrain, n’ayant pas de frais d’expropriation et d’excavation nécessaires.
En novembre de la même année, la firme Gibbs & Hill, elle aussi de New York, vient cogner à la porte de la ville pour lui proposer son système de monorail. Utilisant la carte de la sécurité pour pousser leur projet.
« Il faut s’petre promener dans le métro de New York en juillet ou en août pour conaitre le confort qu’offre le métro alors que durant ces mois, les passagers s’afaissent comme des mouches écrasés de chaleur ou de manque d’air. »
Il ajoute que la panique toujours présente qu’un incident, qu’une inondation ou voir même qu’une explosion pourrait causer dans des tunnels. Avec la voiture toujours plus présente, il devient une priorité d’enlever les tramways encombrants des artères principales congestionnées.
Durant les prochaines années, le débat est fort, vous êtes soit pro-métro, soit pro-monorail. On peut lire dans La Patrie du 28 mars 1948 «?La lutte est engagée entre les partisans du métro et ceux qui favorisent plutôt le tramway suspendu. À l’hôtel de ville où l’on s’intéresse à la question du transport en commun, on ne se cache pas qu’il faudra avant bien des années, adopter une nouvelle formule pour assurer le transport des citoyens plus rapidement qu’on ne le fait en ce moment.?»
À l’aire Drapeau
C’est sous la mairie de Jean Drapeau que le transport prend son envol et dès 1955, la formule du monorail revient dans l’actualité. Un rapport de Charles-Edouard Campeau, directeur des services d’urbanisme de Montréal, offre en tout, quatre solutions de transport en commun.
Utiliser les lignes existantes de chemin de fer, la construction d’autoroutes, le métro comme celui de Paris ou les tramways surélevés comme ceux de Wuppertal en Allemagne.
Et les gens sont divisés, «?à une époque où la clientèle des transports en commun ne cesse de diminuer, c’est un gros risque d’opter pour le métro dont la rentabilité est douteuse?», peut-on lire dans Le Devoir du 22 septembre 1955.
Au même moment, le quotidien la Presse publie « Le monorail est non seulement en mesure de satisfaire les exigences des voyageurs, il n’offre aucun risque d’accident et se présente probablement comme le plus économique »
Au moment où l’on parle autant de congestion routière, le sous-comité sur le transport en commun à Montréal donne une réponse claire que le monorail n’est pas une option. «?Il n’existe pas de système de monorail dans aucune région urbaine du monde et que les lignes en service sont encore au stade expérimental.?» Montréal se tournera donc vers le métro souterrain.
Un dernier combat
En octobre 1961, quelques semaines à peine avant l’annonce du métro de Montréal suite à des visites en Europe du duo Drapeau-Saulnier, la firme Milot et Frère située à Jonquière refait partir la machine à spéculations en présentant son projet de monorail devant tous les grands médias de Montréal
La ville ayant repoussé son projet du revers de la main en 1960, c’est en désespoir de cause et parce qu’il croit que sans l’aide de la presse, la population ne saura jamais si on a vraiment étudié un système adéquat répondant au besoins des citoyens.
Le design de la compagnie Lockheed Aircraft (ancêtre de Lockheed-Martin) proposait une capacité de 32?000 passagers à l’heure avec des rames de quatre wagons. Il serait moins bruyant qu’un autobus et construit le long des grandes artères ne déparerait en rien à la beauté de la ville. Nous avons tous les arguments utilisés autant en 1947 qu’en 2021 par la CDPQ.
La dernière correspondance signée Lucien Saulnier se voulait cinglante «?Je crois qu’il vous sera utile d’apprendre que nous avons définitivement mis de côté tout projet de monorail en rapport avec nos études sur le métro?»
Lors de la conférence de présentation, le maire Jean Drapeau confirme que le projet de M. Milot avait été rejeté parce que Montréal ne pouvait pas se permettre de faire, au bénéfice des autres villes du monde, une expérience qui pourrait s’avérer fort coûteuse.
Toujours selon Drapeau, le monorail, si à première vue représente une économie importante, il peut engager les contribuables dans une aventure financière désastreuse. Ce qui est le plus amusant c’est de mentionner les termes « aventure financière désastreuse » et « Maire Drapeau » dans la même phrase et ne pas aprler des Olympiques.
À peine le métro annoncé, voilà qu’on se tourne une fois de plus vers le monorail, mais cette fois-ci, à l’aube de l’exposition universelle de 1967, pour relier le site de l’île Sainte-Hélène à l’aéroport de Dorval.
Durant l’exposition de 1962 tenue à Seattle aux États-Unis, un système de monorail fait la fureur et en on promet à qui veut bien l’entendre que l’Expo de Montréal aura également le sien qui permettra de déplacer les visiteurs sur les différents emplacements.
Vous conviendrez que celui-ci est plus une attraction adapté à LaRonde qu’à un moyen de transport en commun et qu’il n’a rien à voir avec ce que Seattle avait proposé auparavant. Pour ça, on devra regarder en direction de l’Expo-Express qui s’approche de ce que le REM est en réalité.
Le transport du futur.
Si les gens du passé qui imaginaient notre présent voyaient dans le monorail le transport du futur, il faut avouer que ce système refait surface de temps à autre, miroitant des économies et un moyen écologique. Et ce même si celui-ci n’a jamais vraiment fait de vague dans le monde du transport en commun.
Sur la planète, on compte une quarantaine de systèmes de monorail, la plupart ayant en moyenne entre 2 et 5 stations seulement dans des secteurs touristiques ou aéroportuaires. C’est principalement la Chine qui semble avoir adopté le concept avec presque 17 lignes actuellement en fonctions ou en constructions desservant autour de 150 gares.
Si le monorail n’a jamais vu le jour ici dans sa forme transport collectif, le REM qui verra ses premiers passagers cette années est probablement ce qui s’en rapporche le plus en forme et fonction.
La décision était sage à l’époque de mettre le métro sous nos pieds et à voir ce qui se passe dans l’Ouest de l’île, force est d’admettre que nos autorités actuels seront placé prochainement dans la même situation que leur prédécesseurs.
Sources :
Archives de Montréal : D2020-3 : Circulation – Transport – Véhicules : Monorail. – [18-]-[19-]
VM166-D02020-3