Les ruelles à l’avant plan.

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Ruelle 1890, Photo: Musée McCord
Ruelle 1890, Photo: Musée McCord

Je me rappelle quand j’étais un mini moi, grandissant à Verdun, nos parents nous envoyaient jouer dans la ruelle, loin des dangers de la rue et sous l’œil attentif des voisins et voisines en cas d’urgence. Vers 17h on entendais nos mères crier du balcon de venir souper où d’entrer prendre son bain, on jouait au hockey, nos petites voisines méritaient nos premiers becs après avoir joué à la tag-bar-b-que. Je ne commencerais pas à être nostalgique du bon vieux temps des années 80, mais il faut avouer que les choses ont changés. Le blogue « C’est toi ma ville » représente très bien la vie dans les ruelles durant ces années dans son billet d’août 2013. Malgré les efforts pour redonner un espace de vie aux familles en nettoyant les cages d’escalier en tôle ondulée, hangars et garages à grand coup de subventions. Les ruelles ont vécu une période creusent dans les années 1990, les familles autant prisées des politiciens ont quitté pour la banlieue, les jeunes ont abandonné les activités extérieures et de toute façon et des parents surprotecteurs s’imaginent que ces ruelles sont des endroits de débauches où drogue, sexe et pédophiles se côtoient à toutes heures du jour ou de la nuit. N’ayons pas peur de dire la vérité, la plupart des ruelles du centre-ville ne sont que des voies de services pour les déchets, huiles usées de restauration rapide, souvent utilisé comme toilettes à air-ouverte et où la salubrité reste franchement à désirer.

Et voilà que depuis une quinzaine d’année, elles reprennent vie, ruelles vertes l’été, ruelles blanches l’hiver et voilà que depuis quelques jours et jusqu’au 12 septembre, vous retrouvez dans une ruelle de Sainte-Catherine en plein centre-ville un marché éphémère de fruits et légumes. Dans les quartiers plus résidentiels, la ruelle reprend vie où pour l’espace d’un moment il est possible d’oublier le bruit des voitures. Les Bergeron, Coderre et autres leaders politiques se demandent souvent comment garder les jeunes familles en ville, je commence à croire que ça devrait commencer dans la cour arrière.

exemple de porte cochère du régime français
Exemple de porte cochère du régime français

La ruelle à partir du 18e siècle, les quartiers ouvriers plus denses comme les quartiers bourgeois avaient pour la plupart un espace derrière les maisons, accessible par une porte cochère donnant sur un tunnel. Plutôt utilitaire, vous pouviez y retrouver l’écurie pour le cheval, la glace pour garder les aliments au frais, l’huile et le charbon pour le chauffage et dans certains quartiers, l’entrée des domestiques. La porte cochère était un détail architectural français, on peut donc voir dès le début du régime anglais (1760) le changement d’influence pour l’apparition de la ruelle britannique, c’est-à-dire, la voie d’accès commune.

Livreur de glace à St-Henri
Livreur de glace à St-Henri

C’est vraiment vers la fin du 19e siècle, suite à une densification importante des quartiers et l’apparition des « plex » pour la classe ouvrière que l’on peut voir la ruelle telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les « plex » locatifs, construits sur la longueur des lots permet plus de logements dans un même espace, c’est avec ce type de construction que nous voyons la multiplication de ruelles comme voie d’accès aménagé dans le fond des cours. Plus économique à la construction, il permet aussi aux livreurs, aux services de la ville et même aux croques-morts d’avoir accès à plusieurs résidences dans une seule voies. Même à ce moment, la propreté des ruelles sont un sujet chaud. La Patrie publie en 1899 à la demande du Conseil Provincial d’Hygiène (Ministère de la Santé) une série d’étapes à suivre pour nettoyer les voies arrières. Pendant les années 60 et 70 l’automobile est roi, le cheval lui a déjà laissé la place depuis longtemps, les livreurs de glace et de charbon ont été remplacés par les « machines à moteur » depuis plusieurs décennies. Les écuries font alors place aux garages et après avoir envahi les rues, l’auto prend les ruelles d’assaut.

Depuis le début du 21e siècle, très peu de services utilisent encore ces voies d’accès arrière. La collecte des déchets passe à l’avant, la disparition des hangars a énormément réduit les chances de feu à l’arrière et les pompiers les utilisent de moins en moins. Les résidences ayant un chauffage à l’huile ont parfois encore leurs livraisons à l’arrière, mais au fur et à mesure que les bassins dépassent leur durée de vie, ils font place à l’électricité beaucoup plus efficace et malgré les hausses de prix annuelles, sont habituellement moins dispendieuses. Les ruelles sont à ce moment un genre de « no man’s land ». Sans livreurs, sans enfants, c’est alors que le citoyen urbain prend le taureau par les cordes à linge. Certains se relèvent les manches de chemise, voulant profiter au maximum de leur petit bout de verdure à l’arrière de la résidence décident alors de retaper leur bout de ruelle. La bonne humeur est souvent contagieuse, les voisins de ces pionniers font alors pareil avec leur propre petit bout de ruelle et au cours des années, la voie de service qui avait été abandonnée reprend vie, le son des enfants issus du baby boom du début des années 2000 réapparaît et les îlots de chaleurs d’asphalte font alors place à des îlots de verdure et ce, avec la bénédiction des arrondissements et des villes.

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Pensez-y, ces gens qui embellissent les ruelles font plus ou moins ce que les autorités de la ville devraient faire, s’ils ont simplement à installer quelques dos-d’ânes, quelques bollards ralentisseurs et venir ramasser les sofas laissés de temps en temps. C’est bien moins dispendieux que d’avoir à venir tondre le gazon, enlever les seringues et condoms souillés et d’avoir à refaire le bitume à tous les dix ans. Les citoyens « payeurs de taxes » font ça pour eux. Comme ils disent en anglais, c’est un contrat « win-win ».

Pour avoir une ruelle verte, le comité de ruelle des deux rues parallèles doivent avoir consensus et les signatures de 51% des résidents, présenter leur projet à l’éco-quartier qui finalement prendra la décision avec l’arrondissement des projets retenus. Certains résidents, sûrement de vieux grincheux conduisant une mini-van pas de fenêtre, ne veulent rien savoir de cette verdure et plusieurs trouvent que cet accès limité dérange leur quotidien. Un bel exemple de reprendre la ruelle a pu être remarqué durant les séries tardives des Canadiens de Montréal ou encore durant la Coupe du Monde ou les ruelles étaient transformées en salle de projection pour ces événements majeurs.

En plus de ruelles vertes, il y a depuis peu les ruelles blanches ou des familles décident de prendre leur bout d’asphalte qui de toute façon n’est plus déneigé et de le transformer en patinoire ou en espace de glisse pour les jeunes de la rue. Malheureusement, comme pour leur penchant estival, il y a des gens qui ne comprennent pas encore le futur de cet espace sous utilisé. Deux familles ont arrosé pour y faire des patinoires et pratiquer notre sport national quand l’arrondissement, dépassé par les événements et n’ayant pas vraiment de règles sur ce type d’installation ont du, suite à la plainte de la sorcière de la ruelle, mettre fin à l’amusement et détruire le fruit de leur labeur. Décrié haut et fort dans les médias que nos enfants sont trop sédentaires, ne font pas assez d’exercices, c’est sans équivoque que les ruelles sont l’élément manquant et doit être exploité de nouvelles façons. Comme elles l’étaient dans les 60, 70 et 80.

D’autre projet comme le Marché des Ruelles de l’organisme Destination Centre-Ville tente de prouver avec ce projet-pilote que les ruelles peuvent et pourraient de nouveau avoir une utilité. Il est évident que cela demande, comme beaucoup d’autres choses, une volonté politique, de faire des nouvelles réglementations pour les déchets à l’arrière des commerces, ça demande de la volonté des résidents et des boutiques et finalement, le public en général. Nettoyer les ruelles de la ville n’ont jamais été un enjeu électoral, ce n’est donc pas important pour les élus. « Out of sight, out of mind » comme ils disent en japonais.

Que feriez-vous avec votre ruelle? Les abandonner et agrandir les cours arrières? Plus de ruelles vertes? y retourner les services comme les déchets pour nettoyer les rues avant? Voici ce que je suggère, envoyez le lien de cet article à l’aide de Twitter ou de Facebook à votre Maire d’arrondissement, à M. Coderre et à M. Bergeron pour prouver que les ruelles sont pour vous aussi importantes que les rues, même si ce n’est que pour embellir une parcelle de la ville qui, soyons franc, est d’une horreur digne du Détroit abandonné.

Pour en savoir plus sur le sujet, je vous invite à visiter le site ruelleverte.com ou le site du Centre d’Histoire de Montréal qui va plus en détails sur l’histoire des ruelles. Finalement, un petit fait amusant, j’ai écrit le mot « ruelle » 39 fois dans ce texte et je m’excuse pour mon absence d’un mois, jour pour jour!


Afficher Ruelle verte sur une carte plus grande
Carte des Ruelles vertes de Montréal

Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.