La gentrification est un mot à la mode, un « buzzword » que les résidents des quartiers d’Hochelaga et de St-Henri connaissent de plus en plus à cause de groupuscules qui ont de bonnes intentions, mais des façons de faire un peu archaïques. Peu importe de quel côté du débat vous vous retrouvez, ce sujet chouchou des médias traditionnels est des plus polarisant. Mais saviez-vous qu’il existe des dérivés de ce mouvement qui affectent le tout Montréal, connaissez-vous la studentification?
Si vous ne le saviez pas encore, Montréal est une ville étudiante avec plus de dix établissements de niveau universitaire et entre 170 000 et 200 000 étudiants, dont plus de 20 000, sont étrangers non-montréalais (selon Montréal International). En 2017, Montréal détient la première position mondiale des meilleures villes universitaires pour les étudiants selon le classement annuel Top Universities de Quacquarelli Symonds Limited. L’Université de Montréal se classe régulièrement dans les tops 200 des établissements mondiaux et McGill automatiquement dans le Top 30. La métropole est aussi la ville où la population étudiante est la plus grande au Canada et deuxième en Amérique du Nord derrière Boston.
Mais c’est quoi?
Maintenant que nous avons établi que Montréal est bel et bien une ville étudiante, quelques définitions. Quoique plutôt complexe, vous connaissez les grandes lignes de ce qu’est la gentrification, cet anglicisme d’embourgeoisement est de façon grossière, l’arrivée d’une nouvelle clientèle de façon progressive qui change le mode de vie d’un quartier au point ou les résidents de longue date, souvent d’une classe plus pauvre, se voient repoussés par la hausse des prix dans les commerces et des logements. Je sais, je sais, c’est plus que ça, mais ce n’est pas le sujet ici. Nous pouvons prendre l’exemple du Plateau, quartier autrefois ouvrier, bon marché qui a vu son ADN changer au milieu des années 1970.
Le changement du Plateau est souvent attribué aux jeunes étudiants, attiré par les coûts des loyers moins dispendieux qui se sont peu à peu appropriés les alentours du parc La Fontaine. Prêt du centre-ville et de son action, le quartier a tranquillement rencontré une désindustrialisation pour faire place aux étudiants de la toute nouvelle université publique. La studentification est le processus par lequel des quartiers rencontrent des changements sociaux, économiques et environnementaux causés par le très grand nombre d’étudiants vivant dans une zone particulière de la ville. Dans l’ensemble, les effets positifs sont que les étudiants ont tendance à augmenter les niveaux de dépenses dans l’économie locale et d’améliorer les opportunités aux points de vue éducatifs, culturels et événementiels.
Malheureusement le négatif est souvent ce qui frappe l’imaginaire collectif soit le bruit tard le soir à la sortie des bars et une économie saisonnière. Loin de moi de généraliser ici, mais un locataire qui n’est présent que quelques mois par année n’aura pas la même appartenance à un quartier et au bien-être d’autrui. Nous pourrions même évoquer le cas particulier des deux solitudes de Montréal qui créent une ghettoïsation habituellement anglophone.
Dr Darren Smith
Le terme est relativement récent et est souvent associé au Dr Darren Smith qui l’a popularisé dans ses études sur l’embourgeoisement étudiant de la région de Leeds en Angleterre. En 2002, le Dr Smith publie un papier sur l’impact de la grande présence étudiante dans le quartier de Heandingly au nord de Leeds en mentionnant quelques impacts majeurs de ce type d’embourgeoisement.
Premièrement, l’impact économique des secteurs touchés par l’arrivée en masse d’étudiants fait grimper le prix des loyers. Par exemple, un couple qui ont chacun un emploi et qui peut-être ont de jeunes enfants habitent un loyer de 800 $. Maintenant, le propriétaire qui voit la bonne affaire pourrait augmenter le loyer à 1200 $. Notre petite famille ne pourra peut-être plus se le payer, mais le prix est plus intéressant pour des étudiants qui se le sépareront à trois ou à quatre. Le résultat est donc 400 $ de plus dans les poches de notre proprio et une famille qui doivent déménager.
Smith mentionne aussi l’impact social par ce déplacement des résidents permanents et établis remplacé par de jeunes célibataires éliminant ainsi le besoin de services répondant aux besoins des familles ou des personnes plus âgées. Les services offerts par les municipalités et les gouvernements sont habituellement liés à la clientèle dudit quartier. Nous pouvons donc imaginer l’absence de garderies, d’écoles primaires, de CLSC, de cuisines populaires et où les services pour les aînés se font plus rares. Rassemblez une majorité de personnes ayant un style de vie et des pratiques de consommation semblable force la modification de l’offre de ventes au détail. On peut imaginer la plus grande présence de bars, de cafés et d’établissements de restauration rapide. Une baisse dans le besoin de commerces de vêtements pour enfants, garages ou stations d’essences, de quincailleries et de restaurants plus haut de gamme sera aussi remarquée.
Finalement, peut-être ce qui touche le plus notre blogue, l’appartenance à son quartier. Montréal est unique dans le fait que si vous habitez le Mile-End, Hochelaga, Westmount ou Montréal-Nord, les résidents de longue date sont habituellement fiers de leur quartier, de son embellissement et du bien-être d’y habiter. Si chaque quartier a ses défauts, vous reconnaîtrez ce que vous aimez de ce quartier pour en faire le vôtre. La population étudiante souvent temporaire possède rarement ce sentiment d’appartenance. Plus tôt cette année, les médias ont fait leurs choux gras quand des concierges de Milton-Park sont sorties pour dénoncer la présence d’étudiants et leurs façons de traiter le quartier. Selon un concierge cité dans ce texte « La situation, c’est que les étudiants ne respectent pas le règlement des poubelles […] Un étudiant, il sort ses poubelles quasiment tous les jours devant sa porte. Après ça, il dit que ce n’est pas lui. Après ça quand il déménage il laisse ça comme ça ». Texte de Bahador Zabihiyan sur Radio-Canada Info.
Les résidences étudiantes
Il y a de l’argent à faire avec les étudiants étrangers et faut croire que des gens l’ont compris. Le Delta Centre-Ville (Boulevard Robert-Bourassa) et Le Holiday Inn (Rue Sherbrooke Ouest) sont tous deux dans la même année devenus des résidences étudiantes sous la marque Evo. Les propriétaires des deux anciens hôtels sont des compagnies enregistrées à l’île de Jersey, une île de la Grande-Bretagne, juste au nord de la France, souvent considéré comme un paradis fiscal et dont le propriétaire principal semble habiter, Laval! Deux hôtels du McGill Ghetto ont été transformés en résidences étudiantes, soit le Quality Hôtel aussi en 2013, devenu le ParcCité et depuis presque 10 ans déjà, l’ancien hôtel du Complexe La Cité aussi sur l’avenue du Parc héberge des résidences étudiantes de McGill.
Parmi les autres résidences privées, les étudiants reconnaîtront le StCathy’s dans le quartier Concordia ou le Varsity515 de la rue City Councillors. Plus récemment, l’Université Cconcordia a transformé l’ancienne maison-mère des Soeurs-Grises et l’ÉTS a inaugurée son nouvel immeuble de la rue Notre-Dame. De plus, vous pouvez croire que les prix ne sont pas des moins chers, débutant entre 750 $ et 900 $ par mois pour une chambre dans un appartement que vous devez partager avec d’autres étudiants. À ce prix la, il est possible d’avoir un logement en entier où vous n’avez pas à partager la salle de bain, et ce, dans plusieurs quartiers intéressants de la ville comme Rosemont et Verdun. Il y a juste l’UQAM qui semble avoir manquée sa chance avec ses plus récentes résidences de l’îlot Voyageur qui ont été un fiasco dont le quartier a encore du mal à s’en remettre.
Entre les résidences privées comme le Evo et les résidences universitaires, ce sont des milliers d’étudiants qui envahissent des quartiers entiers prêts de leur établissement scolaire. Juste à aller faite un tour dans ces quadrilatères pour voir la transformation du square Chaboilliez autour l’École de technologie Supérieur ou le McGill Ghetto au pied de la montagne et de l’avenue du Parc. Pensez également au quartier Concordia à l’est du Golden Square Mile qui, en plus de compter sur les étudiants du campus centre de l’Université, compte aussi sur ceux de Dawson.
De la résistance
S’il y a des quartiers où la transformation est déjà complétée, certains citoyens ont encore l’espoir de sauver leur voisinage de cette métamorphose. L’Université de Montréal travaille actuellement sur son nouveau campus d’Outremont et la future présence de milliers d’étudiants suscite une vive résistance de la part des résidents actuels.
Des citoyens et des groupes communautaires et populaires du secteur Alexandra-Marconi-Beaumont-Atlantic dans le Mile-Ex se sont réunis en 2012 pour créer une coalition dans le but de faire entendre leurs voix et s’assurer que leur vie n’est pas entièrement modifiée par les nouveaux arrivant. Ce quartier représente exactement les éléments nécessaires à la studentification. Un quartier encore relativement bon marché, quand même proche de grandes artères comme St-Laurent et l’avenue du Parc à quelques pas de services praticables à pied comme le Marché Jean-Talon.
Ce quartier anciennement ouvrier tranquille avec une forte concentration de la communauté hassidique est sur le point de voir l’arrivée de nouveaux voisins. Si jusqu’à maintenant, très peu de personnes s’intéressaient à leur secteur et encore moins pour s’y établir, les nouveaux pavillons de l’UdeM, attireront des centaines, voir des milliers d’étudiants cherchant à s’installer non loin de leurs classes. Le petit quartier tranquille semble tout à coup un endroit parfait, jusqu’à ce que les propriétaires flairent la bonne affaire bien sûr.
Ces résidents craignent la hausse de la circulation et le manque de stationnement sur rue, la perte d’emploi suite à la fermeture de commerces locaux et le manque de logements sociaux dans un quartier qui est déjà considéré à faible revenu. Est-ce un cas de « pas dans ma cour » ou leurs craintes sont-elles fondées sur les expériences de quartiers déjà touchés par ces changements?
En réalité
Comme l’embourgeoisement, certains critiques diront que le phénomène n’est qu’une théorie, d’autres affirmeront que rien n’a changé pendant que les plus négatifs diront que c’est un fléau qu’il faut éliminer. Les meubles dans les rues sont tout aussi présents sur les trottoirs de Montréal, peu importe l’endroit, surtout autour du 1er juillet. Tout comme l’embourgeoisement, la studentification peut être positive ou négative et tout va dépendre sur quel côté votre opinion se situe.
Le but de cet article n’était pas de vous donner mon opinion, simplement de relever le débat. Nous aimerions donc poser la question, Montréal est-il victime de son succès? Fait-il face à la studentification de plusieurs quartiers? Le Dr Darren Smith dans son étude de 2002 « The politics of studentification and(un) balanced’urban populations: lessons for gentrification and sustainable communities? » affirme que si une ville sait bien gérer les environnements et les espaces vivants, l’arrivée en masse d’étudiants dans un secteur ne peut être que positive. Par contre, je dois l’avouer, en matière de planification intelligente et de développement de quartier, les autorités de la ville de Montréal n’ont pas une très bonne moyenne et ont plus de coups ratés que de réussites. Je développerais peut-être ce sujet lors d’un futur billet, Griffintown me vient automatiquement en tête.