Il y a des gens que vous rencontrez qui, sans directement le dire, sont vraiment passionnés parce qu’ils font. C’est ce genre de personne que nous avons rencontré en Dr Matt Soar, Professeur agrégé et directeur du programme du Baccalauréat ès Arts de l’Université Concordia de Montréal et curateur du Montreal Sign Project.
Les enseignes qui nous entourent ne sont là que pour des raisons commerciales, souvent oubliées et remplacées quand le commerce change de nom ou quand la nouvelle technologie prend sa place. Que ce soit les logos de grandes multinationales dans le haut des gratte-ciel ou les enseignes rétro-illuminée du marché du coin, certaines prennent racine dans notre quotidien, des points de rencontre, des points de repère qui nous aident souvent à garder de l’ordre dans notre vie. Un bon exemple est la première fois où je me suis ramassé sur la Rue St-Jacques dans Notre-Dame-de-Graçe et que je n’ai pas vu les deux vaches Elmhurst/Sealtest j’ai dû m’arrêter pour bien m’assurer que j’avais bien vu. Mon point de repère avait disparu.
C’est ce que Dr Soar a voulu démontrer en 2007 lors du Symposium Logo Cities quand il a réuni, entre autres, les enseignes du Marché Simcha, les lettres rouges du Warshaw et le logo anglophone de la Monkland Tavern. C’est alors qu’il est devenu, sans prétention et à son insu, une source importante pour la sauvegarde de ces enseignes qui la plupart du temps, le trouvent sans qu’il ait à les chercher. C’est ainsi que les murs du pavillon CJ du département de Journalisme et de Communication de l’université Concordia dans le campus Loyola sont maintenant montés, tel un musée, de ces pièces d’histoire uniques à Montréal.
C’est justement entre ces murs, sous le Monsieur Hot Dog, que j’ai eu la chance de rencontrer Matt Soar pour lui poser quelques questions au sujet du Montreal Sign Project.
ProposMontréal: qu’est-ce qui a amené Matt Soar du Massachusetts à Montréal ?
Matt Soar: Après avoir terminé mon Doctorat à l’Université du Massachusetts en 2002, j’avais un emploi temporaire au Hampshire College, sur le marché de l’emploi, j’ai eu la chance d’avoir une entrevue et finalement un emploi au sein du Département des Communications de l’Université Concordia en 2003.
PM: D’où est venue l’idée du Montreal Sign Project.
MS: Quand je suis arrivé à Montréal en 2003, j’ai dû écrire des demandes de soumission pour financer mes recherches et mon équipement. Et j’ai écrit pour recevoir une bourse du Conseil de Recherches en Sciences humaines du Canada appelé « The cultural lives of the logo », une de ces parties avait comme sujet les enseignes dans la ville, je voulais analyser Montréal au travers d’un microscope. J’ai utilisé un terme inventé par l’historien Robert McChesney, l’hyper-Commercialisation, la publicité, le marketing apporté à un niveau supérieur où nous sommes au point où Pizza Hut place son logo sur le côté d’une fusée.
J’ai habité des villes comme Londres et Vancouver, où j’ai passé beaucoup de temps dans les villes. Par contre, avant d’arriver à Montréal, j’habitais une région rurale du Massachusetts, et ce, pendant sept ans. Quand je suis arrivé à Montréal après une longue période loin des villes, j’ai été frappé par le grand nombre de logo sur le haut de gratte-ciel. Avec l’aide d’étudiant nous avons regardé les lois sur l’affichage, j’ai créé un mini-documentaire en ligne intitulé Almost Architecture où j’ai interviewé des architectes, des fabricants d’affiches et des historiens pour partager sur ces logos. J’ai amassé des histoires que les gens avaient à raconter sur les enseignes qui les entourent pour se terminer en une conférence en 2007 nommée « Logo Cities Symposium ». Durant cette conférence, nous avons utilisé l’espace de la galerie VAV de l’université Concordia pour présenter des nouveautés bien sûr, mais nous voulions un peu d’histoire avec de plus vieilles créations. Nous avons donc contacté différents intervenants et avons mis la main pour montrer de façon temporaire les enseignes de Warshaw, Simcha et Tavern Monkland avec l’intention de les retourner à leur propriétaire respectif à la fin du symposium.
PM: Ce fût difficile de convaincre Concordia de vous laisser utiliser les murs du département ?
MS: Nous sommes alors en 2008 et nous avons accès à cinq enseignes et l’idée germe tranquillement de pouvoir les monter sur les murs du nouveau CJ Building du campus Loyola où se trouve nos locaux. Les murs sont gris et les gens sont confus sur quel étage ils se retrouvent. Durant mes années au secondaire en Angleterre, je me rappelle qu’installé les murs des escaliers de l’école se trouvaient de superbes affiches en métal émaillé du London Underground et c’est probablement ce qui m’a inspiré, j’ai finalement eu les permissions nécessaires en 2010. Le projet a pris de l’ampleur depuis, le site web est mis à jour plus régulièrement, combinant l’information du site du symposium et du MSP. Nous avions commencé avec cinq enseignes, deux autres ont suivi depuis 2010, nous travaillons pour en installer deux très bientôt et nous avons dans notre radar trois nouvelles qui nous ont été offertes.
PM: Qui décide et qu’est-ce qui vaut la peine d’être sauvé ?
MS: Nous ne sommes pas dans l’industrie pour sauver des enseignes, il n’y a pas d’argent pour ce type de projet, nous ne sauverions pas une enseigne de Provigo ou de Couche-Tard par exemple. Peut-être un Steinberg original, mais avant tout, ce sont surtout des enseignes dont on nous parle et dont on entend parler. C’est le Montreal Signs Project, les affiches doivent avoir une résonance locale et historique avec les gens d’ici. Étant un designer moi-même, je suis intéressé par ces enseignes, qui les a dessinés, qui les a fabriqués et comment, quand ont-elles été installé et leur histoire. Certaines sont d’un design superbe, d’autres moins.
PM: Est-ce qu’il y a des enseignes qui sont dans un bon endroit en ce moment, mais que vous aimeriez ajouter au mur du département ?
MS: L’enseigne de Simcha Market appartient à Pop Montréal et leur équipe l’ont sauvé après que le marché ait fermé leurs portes, ils nous l’ont prêté pour Logo Cities. Si un jour ils veulent s’en départir, j’espère qu’ils penseront à nous. Je ne suis pas gourmand, si l’enseigne est dans un bon endroit et qu’elle est appréciée de son public, tant mieux. Ce qui est triste c’est quand ces emblèmes sont détruits, se ramasse sur les sites d’enchères comme eBay et dans un sous-sol quelconque. Je le répète souvent, ce n’est pas pour les enseignes elles-mêmes, mais pour les histoires que les gens ont sur ces dernières, un souvenir culturel local.
PM: Vous possédez l’enseigne du cinéma Paramount, aujourd’hui remplacé par le Cinéma Banque Scotia, n’est-il pas un peu trop moderne pour mériter une sauvegarde ?
MS: C’est une enseigne intérieure, probablement la pièce ayant une moins grande valeur patrimoniale, mais elle nous a été offerte et sans énormément d’effort. Une fois entre nos mains, nous avons décidé que l’enseigne était belle, intéressante et contemporaine n’ayant que 15-20 ans. Les gens en la voyant ne pensent pas automatiquement à Paramount Studios, mais au Cinéma Paramount, un bel exemple de souvenir local.
PM: Question plus légère, des deux enseignes montés sur échafaud, soit le ‘Farive Five Roses » et le « Meldrum Movers » sur Sherbrooke Ouest dans Notre-Dame-de-Grâce, lequel est votre préféré ?
MS: Je possède déjà le site web farinefiveroses.ca et je m’amuse énormément avec ce sujet, Meldrum, tout en Futura avec un crénage terrible, je le prends en exemple quand en typographie, nous abordons le sujet du crénage et de l’espace, elle est en très bonne condition par contre.
PM:, Mais il ne semble pas à sa place.
MS: En effet, mais la plupart des grandes villes nord-américaines ont une, deux ou six de ce type d’échafaud sur les toits d’édifices et elles sont formidables. Je crois qu’une des raisons pourquoi j’aime autant ce genre d’enseigne c’est qu’elles ne sont pas des directement des logos, rien que des lettres et il est possible de bien s’amuser avec ces installations.
PM: La compagnie Smucker, propriétaire de l’édifice et de l’enseigne Five Roses ont dépensé au cours des dernières années une importante somme d’argent pour rénover l’enseigne. Je ne crois pas qu’il y ait un appel au boycottage si elle décidait de tout simplement éteindre et enlever l’échafaud de leur toit. Qu’à-telle à gagner de cette rénovation ?
MS: Nous ne pouvons que deviner, car Smucker ne parle pas vraiment au public et ADM, certainement pas. Ils ont une mentalité de siège, certaines choses qu’ils produisent dans le domaine de l’agrochimie et des OGM ne plaisent pas nécessairement à tout le monde et préfère garder un silence sur une bonne partie de leurs opérations.
Mais franchement, je ne sais vraiment pas pourquoi, même Dinu Bumbaru d’Héritage Montréal est aussi perplexe que quiconque. L’histoire que nous connaissons est qu’ADM a vendu la marque Five Roses à Smucker aux États-Unis et qu’ils ont éteint l’enseigne. Ce qui a levé un tollé chez les Montréalais, elle est un repère depuis 1948 et ils ont dû rallumer, tout en nous mettant en garde que si l’échafaud tombait dans un état de décrépitude avancée ou qu’elle devenait trop chère à entretenir, nous devrons tout simplement la démonter par mesure de sécurité. Jouant même la carte de la loi 101, disant qu’ils devraient la démonter de toute façon, car il y est écrit « Five Roses » en anglais, ce qui est faux, puisqu’il s’agit d’une marque.
En 2007, j’ai même contacté la ville de Montréal qui n’était pas enclin à se battre pour la cause. « S’ils veulent la démonter, qu’il la démonte »! Il est facile de croire que si Smucker dépensait autant d’argent pour rénover l’enseigne, ce serait tout à leur avantage de tourner l’événement en une campagne de relation publique. C’est un petit miracle, je suppose.
PM: Est-ce que le Montréal Signs Project a attiré l’attention de musées locaux ?
MS: Pointe-à-Callière, je crois, est intéressé par des événements beaucoup plus loin dans l’histoire. Le Musée McCord, a réussi à mettre la main sur l’intérieur du Ben’s lors de sa fermeture. Je leur ai parlé, leur rappelant que nous avons l’extérieur, ils le savent, mais la balle est dans leur camp. Mais non, les musées ne semblent pas intéressés. J’ai contacté dans le passé le Centre Canadien de l’Architecture (CCA) et les enseignes ne semblait pas les intéresser outre mesure, ces enseignes, ne sont pas de l’architecture.
PM: Quel est votre point de vue sur les publicités murales fantômes ?
MS: Elles méritent une sauvegarde c’est évident, les artisans, les techniques utilisées, que la publicité murale parle certainement d’une autre époque et de marque souvent disparues. Il y a ce petit livre très intéressant sur le sujet, « Sur les Murs d’un Montréal qui s’efface » par une animatrice à Radio-Canada, Réjane Bougé.
PM: Vos étudiants utilisent-ils les enseignes comme outils pédagogiques ?
MS: D’une façon informelle, elles sont un outil de navigation, « Nous sommes dans le Lounge Monsieur Hot Dog ou dans le local en face de l’enseigne « Tavern ». Mais oui, dans certains cas où le design est abordé dans les cours. Nous avons avec les étudiants étudié les enseignes dans la ville et bâti une collection imposante de photos sur Flickr en faisant nos expéditions.
PM: Y a-t-il à Montréal en ce moment des enseignes qui dans 15-20 ans vaudront la peine d’être sauvegardé, que ce soit pour leur design ou les techniques utilisées dans sa fabrication ?
MS: (après une longue hésitation) Sûrement l’enseigne de la Maison Radio-Canada/CBC, le design de Burton Kramer à cause de sa fabrication avant-garde. J’ai essayé de mettre la main sur une enseigne du métro et ils ont dit non. Puisque les affiches et le design sont encore utilisés aujourd’hui, cela pourrait porter à confusion. L’enseigne d’Hydro-Québec est un autre bel exemple par l’artiste, cinéaste et designer Charles Gagnon qui a également des oeuvres au Musée d’Art Contemporain de Montréal.
PM: Où est rendu ce sens du design bon ou mauvais, surtout des enseignes dans de petits quartiers comme celui des Bicyclettes Dumoulin.
MS: Il y a encore de bons exemples, comme ces enseignes en ballon de la Rue Mont-Royal, mais il y a aussi des choses horribles. L’homogénéisation des technologies de fabrication sont passés d’un métier d’artisans, comme les enseignes peintes à la main et la fabrication de caissons ouverts pour néon à une fabrication de masse ou ces grandes compagnies doivent avoir toute la même image peut importe où vous retrouver leurs marques. Comme les chaînes de banque, de supermarchés ou de dépanneurs qui offrent peu de place à l’imagination de la part des créateurs. Leur image doit être la même que vous soyez à Tokyo ou Verdun ce qui supprime l’idée d’une image locale. Le Walker Art Center de Minneapolis utilise cette typographie ou les empattements peuvent être attachés pour donner un esprit unique selon l’endroit où la police est utilisée sur leurs campus. Cette utilisation est créative et diversifiée tout en offrant une appartenance centrale.
Un détail que nous avons découvert en classe, si vous regardez attentivement les affiches faisant la promotion et le marketing de compagnies locales de fabrication d’enseignes, elles sont plutôt mauvaises. Cette industrie travaille avec des machines à découper le vinyle, des polices de caractère horribles et un très mauvais sens de la mise en page. Aujourd’hui il est possible d’acheter une machine de coupe qui vient avec 1000 fontes gratuites et vous n’avez qu’à marcher des rues comme Taschereau où 90% des enseignes sont juste de mauvais goût.
Ce qui devait être une entrevue entre un blogueur amateur et une sommité dans le domaine est rapidement devenu une discussion entre deux personnes qui partagent des points communs dans leur façon de regarder la ville et ce qui les entoure. Dr Soar a été une rencontre trop courte, mais très enrichissante, ses réponses, dont plusieurs n’apparaissent malheureusement pas dans ce texte était complètes, songées et celle d’un homme qui aime définitivement ce qu’il fait.
Le Montreal Signs Project avait au moment de notre entrevue neuf enseignes et une dixième s’est ajoutée depuis. Sur les murs du CJ building vous retrouverez les Warshaw, Ben’s Deli, Monsieur Hot Dog, Tavern Monkland, Cinéma Paramount, Bicyclette Dumoulin et Buywell. Deux autres attendaient que leur place soit prête avant d’y déménager, soit les enseignes du New Navarino Café et la Belle Province Meat Co. dont personne ne connaît la provenance réelle pour le moment. Le 6 février 2014, l’équipe du MSP mettait la main sur la façade de l’enseigne de la librairie Guérin de la rue St-Denis, librairie ayant fermé ses pénates à la fin de septembre 2013.
Ces enseignes se veulent une nostalgie, des souvenirs qui malgré leur hyper-commercialisation, font partie intégrante de notre quotidien. Voici les deux enseignes à saveur nostalgique pour moi. Je vais toujours me rappeler du néon de la St-James United Church rue Ste-Catherine, pendant sa période cachée, avant les rénovations récentes. Ça me rappelle mes années de CÉGEP quand j’allais acheter mes produits graphiques dans la boutique qui se trouvait juste en dessous. L’enseigne énigmatique de la Central American Textile Cie rue Bernard dans le Mile-End. Pour des raisons que je ne peux expliquer, cette pancarte décolorée et en mauvais état m’a toujours fascinée.
Alors, quelle est l’enseigne qui représente Montréal pour vous? Est-ce les enseignes montés sur des bâtiments important comme le logo de la Maison Radio-Canada, le Molson et son horloge, le gros Q d’Hydro ou encore celui de l’Hôtel des Gouverneurs au-dessus de la Place Dupuis. Peut-être, préférez-vous les plus subtils, vos marchés locaux?