D’abord vint la montagne, je cite Jacques Cartier lors de sa visite du 3 octobre 1535 « Et au parmy d’icelles champaignes est scituee et assise la ville de Hochelaga pres et joignant une montaigne qui est alentour d’icelle labourée et fort fertille de dessus laquelle on veoyt fort loing. Nous nommasmes icelle montaigne le mont Royal. » (Relations 1535-1536, VII).
Dans la foulée de protestations des derniers jours suite à cette vidéo que vous avez tous vue d’un chroniqueur français, j’ai remarqué que beaucoup de guerriers du clavier montant fièrement aux barricades propageaient eux-mêmes quelques faussetés. Voici quelques bases sur la terminologie toponymique du mont Royal et de tout ce qui en découlera avec les époques.
Le mont Royal
Il est important de préciser d’entrée de jeu que ce que les Montréalais (moi inclus) aiment appeler la montagne est en fait qu’une vulgaire colline. N’étant pas géologue, je vais m’abstenir du pourquoi et comment, mais ce que je peux dire c’est que le mont Royal fait partie d’une série de dix collines appelées les Montérégiennes alignées entre les Laurentides, Montréal, la Montérégie et l’Estrie.
Une colline, selon Larousse, est un relief isolé de faible altitude relative, de forme grossièrement circulaire et au sommet arrondi. À seulement 233 mètres, disons que notre montagne est loin d’être le mont Logan.
Toponymie, «The OG»
Ayant depuis longtemps oublié le nom que les Iroquoiens lui donnaient, le mont tient son patronyme actuel de Jacques Cartier qui le baptisa en 1535 pour honorer François 1er, souverain français qui soutient financièrement son voyage en Amérique. Dans un texte, selon les règles d’écriture toponymique, on place une majuscule seulement au spécifique et le générique garde une minuscule. On écrira donc, le fleuve Saint-Laurent, la rue Sainte-Catherine et dans le contexte actuel, le mont Royal. Pour compliquer les choses, on place toutefois une majuscule au générique si le toponyme est utilisé dans une liste, un graphique ou un tableau et il existe d’autres exceptions moins courantes.
Le parc du Mont-Royal
Depuis bien avant la visite de Cartier, le mont Royal est tapissé d’une verdure imposante qui en fait un de ses attraits principaux, des terres fertiles couvrent autant ses flancs que ses plateaux. Par contre, en 1874, le maire Aldis Bernard met de l’avant des projets en matière d’hygiène publique ainsi que d’importants travaux pour la création de parcs comme ceux de l’île Sainte-Hélène et du square Dominion. Parmi ces projets figure officiellement un parc situé sur le plus haut des trois sommets de la colline.
On fait appel à l’architecte-paysagiste vedette, Frederick Law Olmsted, co-designer du Central Park de New York et du parc du Capitole à Washington D.C. Tout honneur pour Montréal, le parc local sera son premier projet sans son associé Calvert Vaux. Pour le nom, ce n’est pas sorcier, le parc portera le même que la montagne où il se trouve.
Dans la terminologie toponymique, si nous utilisons un nom propre pour nommer un lieu, celui-ci prendra des majuscules et les noms seront attachés avec un trait d’union; le parc Jean-Drapeau, le boulevard René-Lévesque et bien sûr, tout ce qui emprunte le nom propre du mont, le parc du Mont-Royal, le cimetière du Mont-Royal ou l’avenue du Mont-Royal.
Le Plateau-Mont-Royal
Il y a deux théories sur le nom de cet arrondissement bien connu de la métropole. Quand l’école Le Plateau déménage du secteur Place des Arts vers son endroit actuel sur la rue Calixa-Lavallée. Le «viens me rejoindre au Plateau» pour désigner le voisinage du parc La Fontaine aurait été accepté dans la langue populaire pour finalement s’agrandir au quartier entier. Quoique poétique, j’hésiterais avant de m’avancer pour dire que c’est la raison du toponyme.
Dans le grand quadrilatère délimité par l’autoroute Métropolitaine, le boulevard Saint-Jean-Baptiste, la rue Sherbrooke et Côte-St-Luc, vous tombez sur une zone plutôt uniforme qui oscille entre les 50 et 75 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cette formation géologique est plus remarquable dans le secteur au nord-est de la montagne où il est possible de voir une différence de presque 15 mètres seulement entre les rues Sherbrooke Est et Ontario Est. La théorie la plus probable veut que le voisinage ait emprunté son nom à ce plateau géologique qui viendrait désigner le quartier qui se trouve justement au nord-est du pied du mont Royal.
S’il est utilisé avant, c’est à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que le sobriquet de Plateau atteindra sa notoriété. Il réunira différents villages comme De Lorimier ou Saint-Louis-du-Mile-End. Par sa popularité, le quartier étend ses frontières. À l’époque de son embourgeoisement, il est plus à la mode d’affirmer que «j’habite le Plateau» que de dire «j’habite Coteau-Saint-Louis». Le toponyme sera officialisé dans les fusions de 2002 quand ce secteur au pied du mont Royal devient un arrondissement en bonne et due forme.
Si l’histoire du Plateau-Mont-Royal vous intéresse, je vous suggère grandement la lecture du dictionnaire historique du Plateau Mont-Royal
Mount Royal…
Mount Royal, ville Mont-Royal ou TMR pour les intimes, est une cité-jardin sur le côté ouest de la montagne. La ville indépendante enclavée par Montréal, majoritairement construit sur des terres agricoles où on cultivait le fameux melon de Montréal fut fondée en 1912 par la Canadian Northern Railway pour financer le tunnel sous le mont. Nous devons son design à l’architecte-paysagiste Frederick Gage Todd, élève de Olmstead, à qui l’on doit aussi l’avenue Morgan dans Hochelaga et le lac aux Castors dans le parc de son mentor.
Si le Plateau-Mont-Royal est souvent appelé à la blague «la Petite-France», je me demande si TMR ne devrait pas s’appeler «le Petit-Royaume-Uni». Sa toponymie, dessinée dans le mouvement architectural «city beautiful» du début du 20e siècle, rappelle pour la plupart des villes écossaises, irlandaises et anglaises, ainsi que l’importance du chemin de fer et des deux Grandes Guerres. Le positionnement de ses rues vu à vol d’oiseau n’est pas sans rappeler les formes de l’Union Jack et on y trouve même une cabine téléphonique rouge typiquement londonienne au centre de la ville. Un peu plus et il faudrait conduire son auto à gauche.
C’est avec logique que le chemin de fer demeure à l’avant plan de la ville qu’il coupe littéralement en deux. Et il faut croire qu’il le restera encore longtemps avec le REM qui y construira pas moins de deux stations. Malgré la distance la séparant de la montagne, la ville tient tout simplement son nom au marketing du projet par la compagnie qui la fonda pour rappeler que le train peut les apporter au centre-ville de Montréal en passant sous ladite montagne.
… Et Royalmount
Si le nom en anglais est Mount Royal, le terme inverse dde Royalmount est aussi associé à la ville. Ce surnom évoque la frégate HMCS Royalmount parrainée en 1944 par les citoyens de la ville de Mont-Royal pendant la Deuxième Guerre. Le bateau fut baptisé Royalmount pour ainsi éviter toute confusion avec la prononciation française de Montréal et notons que le futur méga projet commercial dans le quartier industriel de la ville portera également ce nom.
Bonus: Les Montérégiennes
Notre mont Royal appartient à la chaîne de dix collines Montérégiennes, la plus haute avec 1 105 mètres est le mont Mégantic en Estrie et la plus basse est le mont St-Bruno juste en banlieue sud de Montréal à 218 mètres. Devinez qui vient en avant-dernière position, bien sûr, c’est la nôtre du haut de ses minuscules 233 mètres. Pourtant, le nom de la chaîne de collines et le nom de la région découlent directement de celui donné à la petite montagne par Jacques Cartier. En latin, mont Royal se traduit par «Mons Regius», qui, francisé et déformé par le temps deviendra, montérégien.
Et Montréal dans tout ça?
Le mont Royal a inspiré des multitudes de rues partout dans la province. Des odonymes portent son nom à Laval, St-Hubert, Granby, Québec et Gatineau. Localement, une ville, un quartier, une station de métro, un parc, un cimetière, une avenue et un boulevard détiennent le spécifique de Mont-Royal. Vous remarquerez que je n’ai pas mentionné le nom de Montréal lui-même. Après tout, n’est-il pas un dérivé de «mont royal» en soi? Eh bien oui et non, mon intention première était de vous en parler ici, mais l’histoire du mot «Montréal» pour désigner ce qu’était Ville-Marie autrefois n’est pas aussi noir et blanc qu’on pourrait le croire.
Le «TLDR» de cette chronique est le suivant. Si on parle de la montagne, on écrit «mont Royal», si on parle de n’importe quoi d’autre, il prend deux majuscules et un trait d’union et s’écrit «Mont-Royal». Mais en savoir un peu plus sur ces différents toponymes n’est-il pas plus amusant que de simples règles de grammaire?