Il y a de ces familles qui ont fait bouger l’histoire de Montréal, les Beaubien, les Viger, les Papineau et les Molson. Plus prêt de nous on peut parler des Desmarais, les Péladeau ou des Saputo. Que vous soyez d’accord ou non avec leurs participations dans l’histoire, il est impossible de nier que ces noms vous disent quelque chose. Par contre, il y a de ces familles qui malgré leur importance dans notre vie de tous les jours, sont pratiquement invisibles dans la toponymie et des livres d’histoire. La famille Barsalou a un de ces noms qui ont laissé leurs traces, mais dont l’histoire est pratiquement inconnue. Si je vous dis ce nom, les plus vieux d’entre vous reconnaîtront peut-être la marque d’un savon connu au tournant du siècle dernier, mais franchement, c’est à peut-prêt tout. Sauf si vous êtes fervent d’histoire ou natif de St-Hyacinthe, le nom ne vous dira pratiquement rien. Pourtant, la vie d’une grande partie des Montréalais est affectée encore aujourd’hui par les différentes décisions de cette famille.
Jospeh Barsalou (1822-1897) est un homme d’affaires prospère, de nos jours, on pourrait dire qu’il est un entrepreneur. Il démarre sa carrière dans le monde des encanteurs en 1853 après avoir travaillé pendant déjà plus de 15 ans dans ce domaine. Il devient partenaire de James Benning avec qui il fondera à partir de l’ancienne société de ce dernier la Benning and Barsalou. La compagnie est florissante et installera son magasin-entrepôt au 438-440 rue St-Pierre. En plus d’encans, la B & B fait aussi son argent dans le prêt personnel et dans l’immobilier. Dès 1860, on lui donne des revenus de plus de 120 000 $ annuellement, une somme considérable pour l’époque. En 1863, il acquiert la première usine en Amérique du Nord à fabriquer du caoutchouc, la compagnie Brown, Hibbard, Bourn and Company située au coin des rues Papineau et Notre-Dame qu’il renomme la Canadian Rubber Company. Il reste peu de cet immense bâtiment qui a partiellement été détruit en 1916 par un incendie et finalement réduit de plus belle en 1995. De nos jours, on y retrouve Cité 2000. des locaux de répétition et un centre de location de camion et d’entreposage. Son aventure à titre de dirigeant de la Canadian Rubber Co sera de courte duré, dès 1866 il laisse la place aux frères Andrew et Hugh Allan qui rendront la compagnie plus que prospère. Barsalou se retirera de l’aventure en 1870.
Ses affaires ne se passent pas qu’à Montréal. Il investit aussi à St-Hyacinthe où il administrera avec les Dessaulles le moulin à farine et une fabrique de lainage. Il construit un pont, ne payant rien de moins, au-dessus de la Rivière Yamaska qui permettra l’approvisionnement de façon plus efficace. Plus tard, après des hauts et des bas, il devient actionnaire principal de la Banque de St-Hyacinthe et participe à l’essor industriel et financier de la municipalité.
Avec son épouse Julie-Adèle Gravel, le couple aura sept enfants. Si les cinq garçons participent aux affaires du père, une de leur fille Hortanse épousera un certain Alphonse Desjardins (son 2e mariage) qui en 1892 sera élu maire de Montréal, président de la Banque Jacques-Cartiers, ancêtre de la Banque Nationale. Ne pas confondre avec un autre Alphonse Desjardins, fondateur des Caisses Desjardins.
La compagnie de savon « J.Barsalou et cie » fondé en 1875 est probablement l’aventure la plus connue des Montréalais de l’époque et d’aujourd’hui. En 1875, la famille se lance dans la fabrication de savon. Ils utilisent une nouvelle technologie qui fait passer la production de savon de 6000 livres par semaines à 6000 livres en seulement une heure trente. Le savon autrefois était plutôt artisanal, leur fabrication mécanisée en quantité industrielle permettait de se retrouver dans toutes les maisonnées en peu de temps et à des prix que même le Canadien français moyen pouvait se payer. Les Barsalou mettent sur le marché du savon en barres pour l’usage courant et du savon en flocons pour la lessive. Vous pouviez reconnaître ce savon à son logo « tête de cheval » qui est parmi les marques de commerce la plus reconnue de l’époque. Le savon Barsalou pourrait être la vedette d’une chronique en entier, peut-être dans le futur.
Alors, comment cette famille bourgeoise ayant réussi en affaire a-t-elle changé notre ville? Si vous êtes habitué au blogue, j’ai parlé des Barsalou à deux reprises et la plupart du temps, c’était à cause de leurs têtes dures. J’écris ça dans le meilleur sens du terme bien sur. Voyez-vous, les Barsalou étaient du genre à ne pas se laisser marcher sur les pieds et notre histoire en est marqué par deux excellents exemples qui semble avoir écho dans notre histoire plus récente.
Lors des pourparlers de l’annexion d’Hochelaga, certains propriétaires de terres dont Joseph Barsalou et Alphonse Desjardins ne sont pas très chaud à l’idée de voir leurs lots de patelin dans les mains de la ville de Montréal. Ils fondent alors leur propre village, Maisonneuve. La ville devient rapidement une ville industrielle francophone voyant des usines comme la Biscuiterie Viau ou la Diminion Textiles faire leur apparition. Des citoyens comme les frères Dufresne en font une cité modèle. La ville est financièrement viable. Les constructions du Marché Maisonneuve, de la mairie (coin Pie-IX et Ontario), le Château Dufresne, des bains publics et une quantité impressionnante d’entrepôts importants marquent les belles années. La bourgeoisie francophone y fait sa place. Malheureusement, en 1918, c’est avec un peu plus de 32 000 résidents et avec de grands problèmes financiers suivant la première Grande Guerre que les gestionnaires de la ville abdiquent et demandent l’annexion à la ville de Montréal. Ce petit bout de notre histoire n’est pas sans rappeler les fusions et défusions récentes des municipalités de l’île de Montréal.
Deuxième preuve de la résistance des Barsalou est probablement la plus connue de tous, utilisez-vous le pont Jacques-Cartier? Si oui, bien sachez que le fils, Hector Barsalou reçoit l’honneur d’être la raison pour laquelle le pont à une courbe aussi « dangereuse » sur sa partie montréalaise, j’en avais glissé un mot sur ProposMontréal quand j’ai parlé de l’histoire du pont. Au moment de la construction du pont du Havre, les accès de ce dernier devaient arriver sur la rue de Bordeaux. La construction avait déjà exproprié plus de 170 familles pour faire place à la nouvelle structure. Mais Hector Barsalou n’en voyait pas ainsi, refusant catégoriquement les offres de la société responsable de la construction et de la ville, les ingénieurs durent utiliser leur imagination et plusieurs millions de dollars pour modifier les plans de construction. L’usine située aujourd’hui au 1600 Avenue De Lorimier est toujours debout et donne un pied de nez quotidien à tous les automobilistes qui empruntent le pont. Il est important de noter que 5 ans après avoir fait face à la voirie dans la construction du pont. La loi d’expropriation d’aujourd’hui est due à cet événement ou il est presque impossible pour un propriétaire de faire face à la machine bureaucratique face à une demande d’expropriation. Parlez-en aux gens de la rue May à Verdun qui n’ont pas eu d’autre choix de quitter les lieux pour faire place au nouveau pont Champlain.
La famille est encore bien présente à Montréal. Que ce soit en droit ou en politique, vous verrez ce nom apparaître ici et la, mais les ancêtres sont pratiquement effacés de la carte montréalaise, dans notre toponymie, on ne retrouve pas de grands boulevards à leur nom, que la petite rue Hector-Barsalou dans Hochelaga qui n’est rien d’autre qu’une voie d’accès industrielle à la rue de Boucherville et à l’autoroute 25 ayant une ou deux adresses seulement. La fabrique de savon porte le nom d’édifice Familex qui a acheté la savonnerie durant la deuxième Grande Guerre. L’édifice de la rue Ste-Catherine qui logea les bureaux de la J.Barsalou & Co. au coin de la rue Plessis est en piètre état et n’a rien du panache qu’il avait auparavant. Maisonneuve quant à lui est un quartier en pleine ébullition qui semble voir apparaître, presque 100 ans de la fête de son annexion à la grande ville, une nouvelle génération de « petite bourgeoisie » qui redécouvre ce quartier où on peut voir plusieurs différents groupes de notre société moderne.
Les Barsalou ont peut-être été rayés de la carte populaire, mais leur présence est encore bien visible dans notre quotidien. Leur entêtement à en faire qu’à leur façon a modelé un quartier en entier et fait bouger un pont. Si ce n’est pas une bonne raison pour être reconnu dans la culture locale, je ne sais pas ce que ça prend!