Le stationnement sur rue de Montréal et ses nombreux parcs souterrains lui permettent d’éviter la prolifération de stationnements étagés au centre-ville. Pourtant, il y a en beaucoup et, si certains s’amalgament bien avec leur entourage d’autres pourraient être qualifié d’œuvres architecturales, disons, douteuses.
Pensez par exemple à l’horrible Parkade Montréal de la rue Aylmer ou l’unique Stationnement Capital voisin de l’immeuble Sun Life, rue Metcalfe. Je m’en voudrais surtout de ne pas mentionner le stationnement « souterrain » du site Glen. De l’autre côté de la balance du design, vous retrouverez le Stationnement Stanley de belles briques rouges qui approche déjà les 100 ans ou les exemples parfaits de brutalisme que représentent le parc-autos municipal Ethel de Verdun et le garage Louis-Colin de l’Université de Montréal. (Pardonnez-moi, j’aime bien le brutalisme.)
Mais si je vous dis que la fièvre de l’automobile avait poussé la construction d’un stationnement étagé digne du 21e siècle, et ce dès 1955. Le Pigeon Hole parking a été un précurseur dans la métropole et sera le sujet de notre chronique d’aujourd’hui.
Pigeon Hole ?
Son utilisation est simple et est ce qui se fait de mieux pour le milieu du 20e siècle. Il s’agit de garer sa voiture à l’intérieur d’un des garages, de couper le moteur et d’en sortir. Un système d’ascenseurs hydrauliques prend ensuite en charge votre véhicule en le transportant dans un des pigeonniers aux différents étages. Le système reste efficace et cela permet de placer une plus grande quantité d’autos, et ce, dans la même empreinte au sol. En éliminant le besoin et l’espace perdu pour les rampes d’accès et les passages piétonniers, nous réduisons ainsi l’espace nécessaire.
C’est le genre de topo durant les nouvelles du soir qui essaiera de vous faire croire que c’est de la robotique 4.0 digne du Blade Runner. Eh bien non, le concept fait son apparition à Paris dès 1905 et en 1951 on dévoile à Washington D.C. le premier stationnement entièrement automatisé.
Dans notre cour, c’est en 1955 que nous pourrons voir la première installation de ce genre et le garage inusité se retrouvera à l’intersection des rues Saint-Jean et Notre-Dame Ouest, à seulement quelques pas de la Place d’Armes.
Pré-Stationnement
Depuis 1895, ce lot est occupé par le tout premier siège social de Bell Téléphone. Cet immeuble de l’architecte W. J. Carmichael sera toutefois abandonné vers 1929 quand la compagnie déplacera ses pénates dans son nouvel édifice au 1050 côte du Beaver-Hall. Après la démolition et bien avant que le Pigeon Hole ne soit construit, le lieu, propriété de la Prudential Assurance Co. sera déjà utilisé comme terrain de stationnement de surface.
Situé alors en plein quartier des affaires de Montréal, le stationnement étagé viendra répondre à un besoin criant pour les travailleurs de bureaux du secteur. Si vous croyez qu’il est difficile de se stationner dans le Vieux-Montréal aujourd’hui, dites-vous que cette situation ne date pas d’hier.
Le pigeonnier
En juillet 1955, Jack Cameroun, président de la société Automatic Parking inc. annonce l’acquisition d’une franchise d’utilisation du brevet américain Pigeon Hole Parking. La compagnie entreprendra d’ici la fin du mois la construction du tout premier parc de stationnement automatisé du canada pouvant accueillir jusqu’à 288 voitures.
Le concept promet un service rapide, une auto pourra en effet être ramenée de la niche la plus éloignée au sol en 7 secondes, soit, simplement le temps de payer sa transaction. Une station-service Pétrofina adjacente aux entrées permettra d’offrir une gamme de services pour votre automobile à un seul et même endroit.
Comme vous pouvez voir sur l’mage ci-haut, les éléments principaux du système sont les deux « Car Parker ». Des chariots élévateurs guidés de gauche à droite à l’aide de deux rails situés dans le haut de l’immeuble. Le chariot glisse ensuite sous la voiture pour le placer sur la plateforme d’élévation qui à son tour l’apportera dans un des espaces libres sélectionnés par l’opérateur.
L’immeuble
C’est l’architecte Colin H. Copeman qui conçoit l’ensemble station-service/stationnement dans un style définitivement moderne mais déjà dépassé dès son inauguration en février 1956. Une charpente en béton armé, cachée des intempéries par de simples murs de terre cuite, le tout enrobé dans une belle couche de ciment lisse.
C’est vrai, l’immeuble ne passait pas inaperçu. Bordé par des édifices datant du début du siècle précédent décorés et riches de détails. On avait affaire ici à une boîte plutôt ennuyante qui détonnait de ses voisins.
La station-service adjacente a par contre tout autre allure. Si le style moderne de l’époque jure encore avec les bâtiments voisins, il est tout de même un des premiers exemples de standardisation commerciale. Si de nos jours vous n’avez qu’à regarder un poste d’essence pour savoir si vous avez affaire à un Esso versus un Pétro-canada, l’idée est relativement nouvelle en 1955.
La compagnie belge Pétrofina fait son apparition au Québec dès le début des années 1950 et la station du Pigeon Hole, dessinée par l’architecte montréalais Joseph Kalenda, est le premier modèle de ce qui deviendra la signature visuelle des stations du nouveau venu partout au pays. De grandes fenêtres placées de façon arrondie, offrant l’allure d’un cylindre juxtaposé à un rectangle servant de garage pour les entretiens automobile.
La démolition
Le Pigeon Hole sera le premier construit au Québec et sera le dernier démoli. Quatre autres stationnements automatisés verront le jour dans la métropole. Ils se trouvent sur la rue Mansfield (1958-1984), de la Montagne (1958-1970), Stanley (1960-1991) et McGill (1963-1989) et seront tous détruits avant celui de la rue Notre-Dame.
Si des efforts de conservation sont mis en branle, le Groupe de travail pour la « Documentation et la Préservation de l’Architecture du Québec (Docomomo) » publiera en 1998 un mémoire sur le patrimoine moderne de l’immeuble qui aura comme conclusion que, quoiqu’iconique, la restauration pose des problèmes importants et est plus ou moins irréalisable.
Avec l’aval du ministère de la Culture ne réalisant ici aucun besoin de conservation, la ville de Montréal offrira en mai 2000 le permis de démolition de l’édifice qui tombera rapidement sous les pics et les pelles mécaniques.
L’après garage
En avril 2001, le terrain de l’îlot St-Fancçois, toujours vacant, est acquis par la ville de Montréal qui le revendra dans la controverse en 2003 à l’homme d’affaires Hershey Rosen. Selon le contrat de vente, M. Rosen et sa compagnie Quorom Vieux-Montréal inc. auront l’obligation de construire un projet résidentiel d’une valeur de plus de 30 millions de dollars, et ce, dans les deux ans suivant son acquisition.
En 2004, une conférence de presse réunissant M. Rosen, le Maire Tremblay et Robert Libman de la ville, annoncera la construction d’un projet de 200 condos sur les lots vacants. Comme vous pouvez deviner, à cette époque trouble dans la politique montréalaise, ce projet, comme tant d’autres, ne se réalisera jamais. Les terrains seront éventuellement vendus à la chaîne hôtelière Jaro de Québec avec l’intention de construire un hôtel de 10 étages et de 300 chambres.
Or, si vous vous promenez dans le secteur, vous remarquerez évidemment que rien de tout ça n’a été construit et le terrain est libre de construction.
Le parc éphémère
Laissé vacant depuis la démolition de notre protagoniste et question de revitaliser l’espace qui n’était rien de moins qu’une cicatrice dans le secteur historique, la Société de Développement Commercial du Vieux-Montréal et une agence de communication y installeront un parc éphémère aux allures citoyennes.
Le projet populaire créera un nouvel espace de vie convivial au cœur du quartier historique, destiné autant aux résidents, travailleurs et touristes. la verdure viendra remplacer le gravier et sera égayée par des installations artistiques et du mobilier urbain
Toujours sans immeuble, nous pouvons y visiter un parc qui semble bien aménagé. Par contre si on regarde le rôle d’évaluation foncière de la ville de Montréal, les lots appartiennent toujours à la chaîne hôtelière de Québec. Sans toponyme officiel et souvent connu sous le nom de parc Pigeon-Hole, une épée de Damoclès pend toujours au-dessus de sa survie. Je vais avouer que je n’ai pas contacté les Hôtels Jaro pour en savoir plus sur le futur des terrains.
Montréal a le vent dans les voiles, les nouvelles constructions font leur apparition un peu partout et les terrains vacants se font de plus en plus rares. Est-ce que les Hôtels Jaro, qui rappelons-le, payent toujours les taxes foncières sur ces terrains, font de la spéculation immobilière?
La fin d’une époque?
Les stationnements sont de plus en plus enfouis, plusieurs de ses parkings de surface cèdent leur place à de nouvelles constructions et l’ère du stationnement étagé semble être derrière nous. Pourtant les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle et la domotique laissent planer un retour éventuel au stationnement automatisé.
Si l’étalement urbain ne semble pas ralentir, l’amélioration des transports en commun vers la ville centre avec par exemple l’élargissement du métro de Montréal, le REM et les voies dédiées comme le SRB pie IX forceront sans aucun doute la construction de nouveaux stationnements incitatifs dans les périphéries. Au lieu de construire d’énormes parcs de stationnement en béton utilisés que du lundi au vendredi entre 6 h et 18 h, pourquoi ne pas faire appel à cette ancienne technologie,
Ériger des stationnements étagés ayant une empreinte au sol plus petite, avec bornes de recharge et offrant plus d’espaces verts et moins d’îlots de chaleur serait une solution intéressante à nos problèmes climatiques. Le déneigement serait plus facile, réduisant ainsi l’utilisation de la machinerie polluante, les véhicules seraient dans un endroit sécurisé et en plus il est possible de faire des immeubles au design inspiré. Cette technologie de 1905, abandonné par les montréalais en 2000 est peut-être une solution à un problème digne du 21e siècle.
Quelques sources:
- Magasine Architecture, numéro 127, novembre 1956
- Magasine Continuité, numéro 88, printemps 2001