Ce concept d’urbanisme britannique aussi appelé « City Beautiful Movement » est relativement simple. Repenser la ville en opposition à l’industrialisation des grandes villes. Un quartier avec une densité faible dans des rues cul-de-sac pour en réduire la circulation, entourée de verdure ou même de terres agricoles avec ses éléments publics comme les parcs et les centres culturels au milieu du quartier pour une utilisation minimale de l’automobile. À Montréal, nous sommes au début des années 40, au début de la 2e Grande Guerre, l’étalement urbain n’est pas encore tout à fait une réalité et l’automobile n’est pas encore déclarée comme ennemi numéro un. Il faut se placer en contexte, nous sommes tout de même à l’époque où fumer n’était pas néfaste pour la santé, les Québécoises viennent tout juste d’avoir le droit de voter et le salaire annuel de la classe moyenne se situe autour du 2 000$. Tout dernièrement, des plans datant de 1935 pour une cité-jardin qui devait voir le jour à Villeray par l’architecte-paysagiste Jacques Greber dans le domaine Saint-Sulpice ont été découverts. Ce plan ne verra jamais le jour et il faudra attendre à la à 1940 pour voir une première cité-jardin voir le jour à Montréal.
En 1940, avec l’aide de la communauté religieuse des Jésuites par l’entremise du Père Jean-d’Auteuil Richard, du Mouvement Desjardins et de l’Avocat Auguste Gosselin, est créée l’Union Économique d’Habitation visant à offrir aux familles de la classe ouvrière la possibilité d’accéder à la propriété, loin des plex des quartiers ouvriers d’Hochelaga ou du Faubourg à m’l’asse plus au sud. L’U.É.H. prend possession des terrains dans Rosemont, entre les rues Sherbrooke Est, Viau, Dickson et Rosemont. Fortement inspirée du quartier Radburn au New Jersey, la création des plans est alors offerte à l’urbaniste Samuel Gitterman, un diplômé en architecture de l’Université McGill qui donne la forme finale de ce qui deviendra un legs pour le 300e anniversaire de la fondation de Montréal en 1942. Des rues de formes serpentines terminant sur des passages piétonniers menant vers un bâtiment commun qui sera utilisé comme bureaux pour l’Union, de Coop alimentaire et d’espaces religieux. Beaucoup de verdure et d’arbres longent les rues offrant beaucoup d’ombre et très peu d’îlots de chaleur. L’aménagement paysager est même sous la direction technique du Jardin botanique de Montréal qui aidera les citoyens à planifier leur plantation, tout en remplaçant les arbres au fil des années suivantes lorsque cela sera nécessaire. La toponymie nous rappelle les essences particulières d’arbres qui les bordent, Rue des Sorbiers, des Cèdres, des Tilleuls ou des Sapins. Le nouveau quartier embrassera son titre de cité-jardin jusque dans le nom de ses rues.
La construction débute en 1941 dans l’Avenue des Marronniers avec les premiers résidents prenant possession de leur demeure en 1942. Les acheteurs ont le choix de quelques types de maisons modèles, le « Chalet Suisse », « Maison Canadienne-Française » ou la « Maison Victoire ». Facile et rapide à construire dans les règles de l’art de fabrication du moment. 48 nouvelles résidences sont érigées Rue des Mélèzes et année après année de nouveaux chantiers sont ouverts. En 1947, la cité-jardin compte 167 maisons sur les 300 à 600 projetées. Cette même année, suite à des problèmes internes de gestion et au succès mitigé du projet, l’Union Économique d’Habitation plie baguage et fait faillite. Une liquidation vendra les maisons et cédera les rues à la Ville de Montréal en 1948, l’U.É.H. disparaît finalement en janvier 1964.
La cité-jardin de Rosemont se voulait une expérience sur l’installation d’une banlieue viable et utile où, malgré la présence importante de l’automobile pour une utilisation quotidienne, elle pouvait rester stationnée durant la fin de semaine. Profiter de la ville tout en habitant une campagne et profiter de la nature, de Dieu (on se rappelle, les Jésuites sont derrière le projet) et d’un loyer abordable. La construction fut plus longue que prévu et les coûts explosèrent, les résidences prévues pour la classe moyenne sont plutôt la proie de la petite bourgeoisie qui ont les moyens de se payer les nouvelles constructions. Plusieurs des gestionnaires de l’U.É.H furent séduits par le projet et comptèrent parmi les premiers acheteurs, dérogeant au profil de l’acheteur voulu. Le bâtiment commun est transformé en école primaire pour le baby-boom d’après-guerre.
Aujourd’hui dans l’ombre de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, du Stade et des Pyramides olympiques, le secteur est où la densité habitée est parmi les plus basses à Montréal. Il est possible de voir un clivage important entre les résidents anciens qui sont de la première époque et dont la maison est passée de génération en génération et les résidents récents, qui se sont procuré ces maisonnettes à coût de plusieurs centaines de milliers de dollars s’approchant grandement du million. Les rutilantes BMW, Range Rover et Mercedes longent les rues aux côtés des Hyundai et des Honda plus bas de gamme. Des agrandissements et autres interventions radicales pas toujours nécessaires de plusieurs des constructions originales en détruiront l’héritage du patrimoine exceptionnel qu’était cette expérience du début des années 1940. Depuis, la Ville de Montréal et l’Arrondissement Rosemont-Petite-Patrie se sont dotés d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale. La disparition de certains sentiers pour piétons par des propriétaires voulant agrandir leur terrain est un exemple de mal déjà fait. Le P.I.I.A. est venu mettre au clair les règles pour ce patrimoine bâti de l’Est de la ville. Reste qu’aller se promener dans les rues curvilignes de cette cité-jardin demeure une expérience un brin déroutante, il est déconcertant de savoir que nous sommes qu’à quelques mètres du métro-boulot-dodo sans avoir à se taper la traversée d’un pont pour se rendre dans le « sprawl » tout autour de la ville centre.
Pour plus d’information et beaucoup de photos d’archives: Citejardin.blogspot.ca