Il y a deux éléments que j’adorerai voir dans le métro de Montréal. Premièrement, des dépanneurs réinventés à un niveau digne de 2019. Par exemple, la présence régulière de fruits et légumes locaux, imaginez une distribution des fermes Lufa dans les « déps » de quai. Ensuite, j’aimerai y voir une mini-bibliothèque reliée à la BAnQ pour récupérer des livres commandés en ligne et pour les retourner bien sûr.
Oui, la Grande Bibliothèque de la rue Berri est facilement accessible par métro et je vous entends déjà taper sur vos claviers pour nous rappeler qu’il y en avait une dans le passé. Comme vous avez sûrement lu le titre de ce texte, vous aurez également deviné que nous nous le savons et c’est exactement de cet établissement disparu que nous allons vous parler.
Un projet unique.
En décembre 1981, la Commission de transport de la communauté urbaine de Montréal (CTCUM) et la Bibliothèque municipale ouvraient une succursale sur la passerelle centrale de la station McGill. Située en plein centre-ville avec accès à plusieurs centres commerciaux et immeubles à bureaux, McGill est dès son ouverture en 1966 la plus achalandée du réseau montréalais. Titre qu’elle perdra à la station Berri-UQAM au début du nouveau millénaire.
C’est donc avec le souci d’augmenter l’utilisation du réseau de bibliothèques municipales et d’encourager la lecture qu’on ouvrira cet établissement unique. Avant même son inauguration, on estime plus de 500 000 emprunts juste dans la première année. La bibliothèque Métro McGill n’offre que des prêts, aucun autre service ne s’y retrouve. Elle sort tellement de l’ordinaire que même les livres sont classés de façon hors du commun.
Un succès malgré tout
À son ouverture, on y répertorie plus de 32 000 livres pour emprunts. Soit un peu plus de 13 000 romans et le reste sont des œuvres documentaires en français et en anglais bien sûr. Grande différence avec les bibliothèques régulières et question d’accélérer la visite, au lieu d’utiliser le système de classification décimale Dewey traditionnel, les ouvrages sont classés par sujet et par ordre alphabétique. On s’attend à ce que les gens cherchent dans la succursale de la même façon qu’on sillonne les rangées d’une librairie.
Comme n’importe quelles bibliothèques de Montréal, l’abonnement est gratuit pour les résidents de la ville. Si vous visitez de la banlieue desservie par le transport a commun, pas de problème, les coûts d’abonnements ne sont que de 25 $ par année ou 15 $ pour les étudiants.
On verra entre 500 et 700 prêts par jours sortir de la bibliothèque pour un total de 134 235 la première année. Si c’est bien sous les estimations originales, le projet est quand même considéré comme un succès et la bibliothèque restera ouverte pendant plus de 14 ans au même endroit.
Coupes dans les services
Dans son budget de 1996, l’administration du maire Pierre Bourque fait d’importantes coupures dans les services aux citoyens et les bibliothèques municipales ne sont pas à l’abri. Quatre succursales seront appelées à fermer dans les semaines suivantes.
Les bibliothèques Benny (NDG), George-Vanier (Petite Bourgogne), Centrale-Annexe (Édifice Gaston-Miron) et notre protagoniste d’aujourd’hui, la succursale du Métro McGill sont toutes menacés de fermeture.
Cette annonce ne se fera pas sans heurts. Des manifestations menées par le syndicat des employés et par des citoyens touchés auront lieu dans les quartiers menacés pour appeler au maintien des établissements en danger. Manifestations qui feront reculer l’administration municipale qui déposera éventuellement un moratoire sur les fermetures des bibliothèques Benny et Georges-Vanier. Notons que ces deux endroits sont d’ailleurs toujours en service.
Malheureusement, le point de service du métro McGill et la centrale-annexe n’échapperont cependant pas aux compressions. Notre bibliothèque sera fermée définitivement le 1er janvier 1996 et l’idée de pouvoir emprunter un livre entre deux trains est définitivement abandonnée.
Selon le bibliothécaire en chef de la ville de Montréal, Jacques Panneton interviewé par Brian Myles dans l’édition du 13 décembre 1995 du quotidien Le Devoir. « Si toutes les bibliothèques devaient demeurer ouvertes, l’administration municipale devra réduire les heures d’ouverture et les achats de documentation dans tout le réseau. » Il fallait faire des compromis pour permettre aux établissements restants de ne pas trop en souffrir.
L’espace qu’occupait la bibliothèque a depuis été remplacé par l’antithèse d’un service citoyen, une banque. Ce n’est peut-être que moi qui vois dans ce changement une ironie assez intéressante. 23 ans plus tard, à une époque où la culture reprend sa place et où le transport en commun est tellement utilisé qu’il en est saturé. L’idée de revoir une bibliothèque dans une station du centre-ville serait-il devenu viable pour desservir ses millions d’usagers?
Ailleurs dans le monde
La ligne 6 du métro de New York a sa propre mini bibliothèque, mais vous devez sortir des tourniquets pour y accéder. Elle est entièrement souterraine et est une succursale officielle du réseau de la New York Public Library.
À Madrid, nous avons une approche plus directe avec les «Bibliometro». Ces petites boites de verre se retrouvent directement dans les stations du réseau de la ville espagnole et on même un employé pour vous aider.
Pendant ce temps à Séoul, on pousse l’audace jusqu’à placer une mini-bibliothèque directement dans le train. Je ne suis pas trop certain comment ça fonctionne à vrai dire, mais l’idée semble unique. La petite enseigne au-dessus se traduit par «Prière d’utiliser les livres seulement à l’intérieur de ce train, les livres appartiennent à la bibliothèque» ou quelque chose dans ce genre.
Pourquoi pas ?
La connexion aux réseaux cellulaires des stations rend-elle cette idée tout simplement dépassée et justement d’une autre époque? Surtout quand nous avons le choix de millions de titres à porter de nos pouces et sur téléphones supposément intelligents.
L’idée d’une bibliothèque dans le métro reste romantique à mes yeux. Une sorte de fierté pour nos œuvres littéraires qui des fois en auraient vraiment besoin. Le métro de Montréal, que les usagers aiment haïr, reste un des plus beaux sur la planète et est le troisième plus achalandé en Amérique du Nord après New York et Mexico City. Une installation de ce genre serait logique et utile.
L’ajout d’un point de culture de ce genre serait-il encore en 2019 le bienvenu ?
Avez-vous déjà visité ou même retiré un livre de cette bibliothèque?
Aimeriez-vous revoir ce type d’installation dans notre métro? Commentez plus bas.
Je tiens à remercier une fois de plus Benoit Clairoux, historien pour la STM qui m’a donné la permission d’utiliser les photos et nous a offert un coup de main majeur dans les recherches.
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