L’île de Montréal, c’est 15 villes, 19 arrondissements et un nombre pratiquement incalculable de quartiers. Tapez un des ces noms sur Google Maps et celui-ci vous affichera les limites géographiques de ce secteur. Si vous cherchez Côte Saint-Luc, vous verrez ceci.
La ville enclavée est entre des rails à l’ouest et au sud, le chemin Côte-Saint-Luc à l’est et la ville de Hampstead au nord. C’est aussi deux rectangles morcelés des frontières logiques de la cité. Parce que l’être suprême qu’est Google ne fait jamais d’erreur, voici comment Côte-Saint-Luc s’est retrouvé avec le territoire le plus bizarroïde de l’île.
Je vous épargne quelques détails, mais la genèse rapide est que, du territoire de Notre-Dame-de-Grâce (Coteaux Saint-Pierre) sera éventuellement tiré Westmount, Côte-des-Neiges, Montréal-Ouest et ceux qui nous concerne, Côte-Saint-Luc et Hampstead.
Entre 1870 et 1920, fonder une ville était simplement une question d’avoir des amis aux bons endroits. Une bande de riches industriels menés par Sir Herbert Holt (1856-1941) prirent la décision de créer leur propre municipalité en grugeant une petite partie plus ou moins habitée du village de Côte-Saint-Luc, fondée en 1903.
L’origine
Le « Bill » d’incorporation de la ville de Hampstead est approuvé à la législature de la province de Québec le 18 décembre 1913. Si vous pensez que je suis de mauvaise foi au sujet de nos riches industriels, ce n’est pas moi qui le dis, je vous invite à lire le court débat sur la proposition en chambre relaté par Le Devoir dans son édition du 18 décembre.
Le bill de Hampstead a provoqué quelque débat. M.. Trahan s’étonne qu’on constitue en ville un territoire non habité alors que le code municipal exige une population de 300, et la loi des cités et villes une population de 1,600 âmes pour constituer une municipalité. Le fond de toute cette législation c’est le favoritisme pour les spéculateurs, les gens riches.
M. Perron répond qu’il n’y avait pas de population à Montréal-Est quand on l’a constitué en municipalité. L’effet de ces incorporations est de développer les territoires concernés. Qu’on se rassure, il n’y aura pas de franchise de tramway dans Hampstead. Les gens qui demandent cette incorporation veulent développer ce territoire à leurs dépens. Quel mal y a-t-il?
Le Devoir, 13 décembre 1913
La nouvelle entité est constituée des lots 69, 72, 73, 74, 76, 77, 80 et 81. Les huit hommes d’affaires ne veulent rien de moins que créer la ville parfaite. Se basant sur le concept de cités-jardins avec des règles d’architectures très sévères, peut-être trop sévères.
Le T
Au moment de sa fondation, Hampstead omet quelques parcelles en forme de T ainsi qu’une petite partie à l’ouest de l’hippodrome. Les propriétaires, le Montreal Jockey Club et Hugh Montagu Allan (1860-1951) héritier de la richissime famille Allan, sont réticent de se joindre à la nouvelle ville.
Selon le Montreal Daily Mail du 7 mai 1914, ces terres devraient potentiellement être jumelées à la nouvelle ville et en effet, avec les années, de petites parties seront annexées aux villes de Hampstead et de Montréal.
M. Owen Roberts, alors propriétaire des terres de la rue Dufferin et Macdonald demande en 1924 au village de CSL de lui fournir eau, égouts et trottoirs pour y créer un nouvel ensemble résidentiel. Demande que le conseil de ville ne pourra remplir et qui culminera à une entente avec Hampstead qui votera en faveur des améliorations pour ce secteur en novembre 1925.
Strict urbanisme
Le bémol, une toute petite partie de la rue Macdonald ne fera pas le voyage. C’est à dire entre les actuelles rues Snowdon et Langhorne. Vous rappelez vous plus tôt quand je mentionnais que Hampstead avait des règles de construction sévères?
Les fondateurs de la Ville de Hampstead avaient en tête une collectivité où les résidants seraient épargnés du mélange chaotique de zones résidentielles, commerciales et industrielles. Le secteur – bordant la Ville de Côte Saint-Luc, Notre-Dame-de-Grâce, et la Ville de Montréal – devait donc favoriser la construction de résidences aux caractéristiques individuelles et selon des normes architecturales élevées.
Hampstead.qc.ca
Les règles étaient tellement strictes qu’elles ne permettaient pas la construction d’école, de caserne, d’immeuble multi-logements ou même… de mairie. Or, à l’intersection des rues Queen-Mary et Macdonald se trouve déjà un grand immeuble.
Le 5551-5553 chemin Queen-Mary, érigé entre 1922 et 1925, ne rencontre pas les règles établies par la jeune ville et ce, malgré la qualité de sa construction. À défaut de démolir la nouvelle construction, la mairie de Hampstead refusera tout simplement d’annexer ce lot qui ne compte qu’une quinzaine de résidences.Notons que le règlement d’urbanisme de Hampstead a depuis été modéré pour permettre des immeubles à logements à certains endroits.
Dans les années 1950, propriétaire et mécène bien connu, Michal Hornstein, achètera bon nombre des lots disponibles sur le côté ouest de l’avenue Macdonald. Avec des règles d’urbanisme étant plus accommodantes du côté de CSL que chez ses voisins, il y construira plusieurs immeubles en hauteur pour répondre à un besoin locatif criant dans le secteur. Il est d’ailleurs possible de voir que l’avenue sur le territoire de CSL est développée majoritairement en hauteur en comparaison à ses voisins.
Des tribulations
Ces terres éloignées de CSL apporteront leurs lots de problèmes. Le très bon blogue de Steve Faguy dans un texte sur le sujet, qui a grandement inspiré celui-ci, (avec permission) nous mentionne un incendie qui aurait tourné au pire. Le 25 janvier 1961, le 5370 avenue Macdonald est en flamme. Les pompiers de la petite municipalité ne sont pas équipés pour un feu de cette ampleur. Ce seront ceux de Montréal et Hampstead, premiers sur les lieux qui doivent prendre la direction de l’intervention.
En 1942, Côte-Saint-Luc décide cavalièrement d’augmenter les taxes municipales pour les résidents de la rue enclavée. On passe sans avertir de 0,10 $ le pied carré à 0,25 $. Le Devoir dans son édition du 8 juillet 1942 nous résume un conseil de ville plutôt endiablé. Le maire lancera durant le débat que les résidents jouissent d’un traitement de faveur et que « s’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à s’annexer à Hampstead ou à Montréal. »
Manigances montréalaises
Entre en jeu, la ville de Montréal qui en 1982, avec l’aide du gouvernement Lévesque et de grandes promesses, met la main sur la majeure portion de l’enclave au nord. À ce moment dans notre histoire, cette partie de CSL est plus étendue et s’étire de l’autre côté de l’autoroute Décarie.
La raison derrière cette annexion est la construction d’une tour à condo, les Jardins Tuileries (Le Vicomte), située au 6800 avenue Macdonald. Selon les deux villes voisines, cette arrivée massive de nouveaux résidents versera une pression additionnelle sur les routes et la circulation de Montréal et de Hamsptead sans que ceux-ci puissent tirer avantages des taxes qu’elle rapportera.
Montréal ajoutera même que les systèmes d’eau et d’égout de ce secteur ne sont pas équipés pour une telle densité. (Ça vous rappelle Royalmount?)
Malgré l’objection des propriétaires des Jardins Tuileries qui préférent rejoindre Hampstead, c’est Montréal qui sortira finalement gagnant de cette enchère. En échange des terres à l’ouest de l’hippodrome, de la tour, du centre commercial et d’une usine en déclin, Montréal offre 10 M$ et s’engage à relier la rue Kildare à Jean-Talon dans les quatre ans.
Vous l’avez sûrement deviné, ce nouveau lien routier ne sera jamais construit. L’entente signée sous l’ère Drapeau n’intéresse pas la nouvelle mairie de Jean Doré. Ni un, ni l’autre n’iront de l’avant avec cette construction et le tout se ramassera devant les tribunaux et l’Assemblée nationale. (Ça vous rappelle Cavendish?)
La saga prend fin en 1994 avec le projet de loi 193. Montréal débourse encore une somme d’argent importante et doit redonner la portion annexée où se trouve ledit condo et le Carré Décarie. Ce qui nous donnera la carte actuelle.
Côte-Saint-Luc
Le sujet d’annexion des territoires éloignés de Côte-Saint-Luc avec Hampstead et/ou Montréal revient à l’avant-plan toutes les décennies environ. Mais entre vous et moi, la ville de Côte-Saint-Luc n’est pas sur le point de se débarrasser de ses îlots de taxes foncières qui doivent rapporter assez à la petite municipalité indépendante.
De toute façon, en regardant les cartes anciennes, les limites géographiques de CSL ont toujours été nébuleuses et changeantes selon les époques. De plus, j’ai évité le sujet épineux des fusions et défusions de 2000-2006 de crainte d’ouvrir une boîte de Pandore.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite grandement à visiter ces deux articles qui ont été la base des recherches et qui nous ont permis d’aller dans la bonne direction dès le début, ce qui n’est pas toujours facile.
Sources :
- Fagstein’s Blog
- Bibliothèque de Côte Saint-Luc, Promenade de Jane 2018
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