Dans un passé pas si lointain, je mentionnais que si vous croisiez un parc qui porte le nom bizarre de P.A.Q. suivi d’un chiffre, cela signifiait que l’endroit est tout simplement en attente d’une dénomination officielle. Dans le cadre du programme d’appropriation de quartier, un de ces P.A.Q se verra finalement décerner un odonyme reconnu. Voici le premier changement toponymique de trois annoncés qui viendront modifier la trame montréalaise au cours des semaines à venir.
Le parc Jean-Paul-Mousseau
Le P.A.Q. no 38, que nous avions justement présenté dans notre dernier article « 20 faits » a maintenant un nom. L’espace vert dans l’arrondissement de Ville-Marie, situé à l’intersection des rues Logan Est et de Champlain se nommera le parc Jean-Paul Mousseau (1927-1991). L’artiste qui a habité le quartier était un protégé de Paul-Émile Borduas, membre du mouvement automatistes et un des cosignataires du manifeste du Refus Global en 1948.
Si le nom ne vous dit rien, vous avez certainement croisé de ses œuvres à Montréal. Dans le métro, nous lui devons l’œuvre de céramique qui embellit l’entièreté de la station Peel. Fait inusité, l’ouvrage qui se nommait « 54 cercles » à l’inauguration de la station n’en compte que 37 maintenant. Vous pouvez aussi voir son travail de mosaïque dans les stations Honoré-Beaugrand et Viau et nous lui devons aussi la murale en verre de la sortie Belmont de la station Square-Victoria-OACI.
L’énorme murale illuminée de l’artiste orne le hall d’entrée du siège social d’Hydro-Québec. Grâce à son éclairage, « Lumière et mouvement » se renouvelle sans cesse et selon Hydro-Québec, vous devrez attendre 175 000 ans avant de revoir exactement le même agencement de couleurs et de textures. L’œuvre est équipée de 1280 mètres de néon qui doivent donner une méchante facture d’électricité.
Le parc Julie-Hamelin
Selon le même article publié dans le journal métro, le parc Jean-Rivard, voisin du Cirque du Soleil et de la Tohu dans le quartier de Saint-Michel se verra renommer en honneur d’une grande de l’art du cirque.
Julie Hamelin (1973-2016) est une des fondatrices de la troupe de cirques contemporains, Cirque Éloize ainsi que de la compagnie artistique Finzi Pasca à Lugano en Suisse. Malheureusement, une maladie cardiaque emporta la jeune artiste à l’âge de 43 ans. Pour son œuvre, vous n’avez qu’à vous rappeler de la fermeture des Jeux olympiques de Sotchi, le spectacle Vérità, inspirés de Salvador Dali en 2013 et plus récemment, elle fut co-créatrice de Luzia du Cirque du Soleil.
Au revoir Jean Rivard
L’emplacement est de choix pour les artisans du cirque, mais pourquoi enlève-t-on cette désignation à Jean Rivard? Premièrement, une longue rue et une courte ruelle portent déjà son nom dans l’arrondissement de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. Mais surtout parce que Jean Rivard n’est qu’un personnage fictif héros de romans de l’écrivain Antoine Gérin-Lajoie. Quoiqu’un classique de la littérature québécoise, une femme ayant marqué son art mérite sa place dans la métropole du nouveau cirque qu’une personnalité de roman datant du milieu du 19e siècle.
Le parc du Pied-du-Courant
La ville annonçait par voie de communiqué que le parc Bellerive situé dans le quartier Sainte-Marie juste à l’est du pont Jacques-Cartier serait lui aussi renommé. L’espace de verdure plus ou moins oublié est emprisonné entre «l’autoroute-rue» Notre-Dame, le chemin de fer du Port de Montréal, la chute à neige et un terrain vague exproprié par la municipalité.
De plus, la promenade Bellerive est un grand parc du même nom déjà présent dans Hochelaga-Maisonneuve, bordant la même rive et la même rue. Une très belle opportunité pour solidifier le nom de Pied-du-Courant dans l’imaginaire populaire et renommer ce parc. La prison des Patriotes-au-Pied-du-Courant (oui c’est le nom officiel) et la popularité de l’espace éphémère durant l’été ont sûrement quelque chose dans ce changement de toponyme.
C’est quoi le Pied-du-Courant ?
Le courant Sainte-Marie coule entre les ponts Victoria et Jacques-Cartier, le saut, considéré à l’époque comme violent, peut encore de nos jours atteindre la vitesse de six nœuds. Comme je ne m’y connais pas du tout, je vais assumer que c’est non négligeable. L’influx s’atténue devant l’ancienne prison dans quartier qui portera par conséquent le nom de sa position géographique en corrélation avec le cours d’eau, soit, au pied du courant.
Avant l’invention du bateau à vapeur, le courant Sainte-Marie représentait une entrave importante à la navigation et plusieurs équipages devaient alors mettre pied à terre. Le Saut-au-récollet et le courant Sainte-Marie sont des caprices des rivières dans l’archipel qui ont façonné Ville-Marie comme un point important de l’histoire. Aujourd’hui, le courant est plus connu pour sa vague naturelle stationnaire située derrière Habitat 67 où se pratique le surf de rivière ou le kayak durant la belle saison.
Le Village au Pied-du-Courant.
C’est suite à une recommandation citoyenne datant de 2016 et appuyée par le regroupement des AmiEs du Courant Sainte-Marie que la ville a finalement pris sa décision la semaine dernière de renommer le nom de ce petit îlot vert enclavé entre un chemin de fer et la rue Notre-Dame. Ceci étant dit, le village éphémère au pied du courant qui depuis 2015 remplace la chute à neige durant les mois ensoleillés a sûrement aidé dans la popularisation de l’odonyme. Avec bars, bouffe de rue, espaces de diffusion et de spectacle en plus d’être un endroit de choix pour voir les feux d’artifice et le spectacle illuminé du pont Jacques-Cartier. L’installation temporaire redonne un peu de vie à ce coin du quartier depuis trois ans déjà, ce qui aura grandement encouragé le changement de toponyme du parc.
Pourquoi des parcs ?
À quelques exceptions près, rebaptiser un parc est habituellement plus facile, aucun changement d’adresse n’est nécessaire et le geste froisse moins de résidents. Il est important de noter que les parcs au Pied-du-Courant et Jean-Paul-Mousseau sont justement des suggestions citoyennes. Mais rappelons-nous d’une de ces exceptions en 2016 quand la ville renomme le parc de Vimy à Outremont en parc Jacques-Parizeau. Cette modification toponymique aura fait couler beaucoup d’encre et pour calmer les esprits, la ville a inauguré une nouvelle place de Vimy, amputant la portion sud du parc Notre-Dame-de-Grâce dans l’arrondissement du même nom.
Quoi qu’il en soit, la toponymie est une science changeante qui s’adapte à l’histoire d’une ville comme Montréal. L’apparition de toponymes féminins, de personnalités marquantes qui nous quittent ou des odonymes qui prennent simplement leur place due viendront une fois de plus modifier nos espaces de vie, de culture ou de voiture.