Alors que nous sommes confrontés à une urbanisation rapide et aux changements climatiques, les infrastructures souvent construites voilà plus de 100 ans ont du mal à faire face aux contraintes environnementales croissantes.
Les inondations dues aux crues des eaux rapides au printemps et les pluies torrentielles de plus en plus fréquentes sont des problèmes urgents pour les villes du monde entier. À Montréal, ces incidents se traduisent plus souvent qu’autrement en rues qui se transforment en rivières ou à des sous-sols inondés à répétition.
La bétonisation de nos villes, surtout en Amérique du Nord, est la principale cause de ces incidents. Question de faire plus de place à la voiture, entre les années 1940 et 1970, les grandes villes du monde ont remplacé les pavés par de l’asphalte et agrandi des rues éliminant ainsi des espaces verts ou argileux et pour faire des places de stationnement.
En mars 2024, la ville de Montréal annonçait la création du plus grand parc éponges dans l’arrondissement de Verdun, seulement à quelques pas de l’historique usine de filtration Atwater qui, j’en suis certain, voit de bon œil l’arrivée de ce petit coup de main nouveau genre.
Mise en perspective
Les villes denses de personnes et de bâtiments, ont rendu possibles des économies et des modes de vie que nos premiers ancêtres n’auraient jamais pu imaginer et ses avantages sont indéniables. Le fait de regrouper toutes les personnes, les maisons, les emplois, les magasins, les bureaux et les distractions en un seul endroit nous offre des possibilités qui n’existeraient pas si nous vivions tous un mode de vie dispersé ou rural.
Peut-être que je vais m’avancer et faire un texte sur la ville 15 minutes qui découle de cet urbanisme. Mais cette densité apporte son lot de conséquences négatives, et c’est très évident, lorsqu’il pleut.
Montréal a principalement deux types de réseaux; unitaires (aussi appelé combinés) et séparatifs. Les réseaux unitaires disposent d’une seule canalisation qui recueille à la fois les eaux usées (aussi appelées eaux grises) des habitations, des industries et des commerces en plus des eaux pluviales.
En contrepartie, les réseaux séparatifs possèdent deux conduites distinctes, l’une pour les eaux usées et l’autre pour les eaux pluviales.
Les réseaux unitaires couvrent environ 70% de la ville, principalement dans les zones du sud-ouest, centre-ville et de l’est de l’île. Étant donné qu’ils transportent les eaux pluviales en plus des eaux usées, leur débit augmente considérablement lors de tempêtes ou de fortes pluies, ce qui entraîne des risques de débordement autant dans les rues que dans nos sous-sols et logements.
Puisqu’il est difficile de juger la quantité d’eau tombée lors de précipitation. Voici une explication relativement simple. 1 mm de pluie équivaut à 1 litre d’eau sur une surface de 1 m sur 1 m.
Donc, si Météo Média annonce des orages de 25mm pour les deux prochaines heures seulement sur l’arrondissement de Verdun (9,83 km 2), ce sera 245 500 000 millions de litres d’eau qui tombera du ciel soit, assez pour remplir 98 fois la piscine du Natatorium.
Heureusement, Montréal est tout de même bien couvert en espace vert, mais reste que toutes les rues, trottoirs, stationnement et autres surfaces imperméables amènent cette eau vers le réseau d’égout, dans le fleuve Saint-Laurent ou dans la rivière des Prairies.
Multipliez cela à l’échelle d’une ville et vous verrez à quel point ces espaces ont modifié notre paysage. Au lieu d’agir comme une éponge pour absorber l’eau de pluie, ils agissent comme des entonnoirs, recueillant et concentrant les eaux de ruissellement dans un réseau, qui à Montréal, peuvent dater du milieu du XIXe siècle.
Historique de la ville éponge
Une de ces solutions est le concept de « villes éponges » apparu comme une approche transformatrice de la rénovation urbaine. Les villes éponges sont conçues pour absorber, nettoyer et utiliser les précipitations de manière efficace et durable au lieu de les laisser tout simplement aller dans les égouts municipaux.
Le concept est né en Chine en réponse aux graves inondations urbaines de 2012 et aux défis de gestion de l’eau qui se sont révélés inadéquats quand le 21 juillet 2012, 460 mm de pluie sont tombés sur la ville de Pékin en seulement quelques heures.
Ces précipitations ont éclipsé le précédent record de 170 mm établi en 1951, ont déplacé 57 000 résidents, tandis que les eaux de crue ont tué 79 personnes causant au moins 10 milliards de yuans (1,9 milliard de dollars canadiens) de dégâts et détruisant au moins 8 200 maisons. Dans la ville, pas moins de 1,6 million de personnes ont été touchées par les inondations.
Dire que c’est la goutte qui a fait déborder le vase serait un euphémisme. C’est donc un groupe de divers urbanistes, ingénieurs et responsables gouvernementaux qui adoptent l’initiative des villes-éponges en 2014.
L’une des figures clés et souvent mentionnée comme étant le père du concept est Yu Kongjian, un éminent architecte paysagiste et urbaniste en Chine et fervent défenseur de l’urbanisme écologique qui, par tout hasard, habitait Pékin ce fameux jour de juillet 2012.
À Montréal
Maintenant que nous savons ce qu’est la ville éponge et son historique, pourquoi quelque 10 ans plus tard, ce type d’urbanisme fait son apparition à Montréal ?
D’abord, il ne faut pas oublier que Montréal est une île avec au centre, une montagne. Même si ce n’est pas le Kilimandjaro, côté relief et dû aux lois de la gravité, des secteurs qui se situent dans le bas du mont Royal sont particulièrement touchés par les pluies importantes.
En visualisant une carte topographique, vous remarquez que des secteurs qui se trouvent plus bas comme le Sud-Ouest, le Centre-Sud et Ahuntsic sont plus durement inondés, non seulement par la pluie qui leur tombe dessus, mais celle qui vient des flancs du mont.
Tout comme le reste de l’Amérique de Nord, le Montréal des années 60 et 70, dans le cadre d’une modernisation urbaine et dans la reconstruction d’après-guerre, largement financée avec l’arrivée de l’Expo 67 puis des Olympiques, ont fait du béton le principal matériau de construction. Jumelé à une érection rapide, souvent sans préconceptions des répercussions que cette bétonisation pouvait apporter à moyen et long termes.
Les odes au béton comme le métro, le Parc Olympique, le Square-Viger, l’élargissement des voies comme le boulevard René-Lévesque et l’apparition des boulevards Métropolitain, Décarie ou Bonaventure sont venues changer l’imperméabilité de la ville.
50 ou 60 plus tard, surtout avec un entretien minimum et ayant dépassé sa durée de vie sécuritaire, il est maintenant temps de maintenir ou de tout simplement remplacer ces infrastructures.
Tant qu’à effectuer cet entretien avec des investissements faramineux, pourquoi ne pas le faire avec une certaine pérennité en tête, voilà où le mouvement de ville éponge arrive à Montréal??
La métropole se classe très bien au niveau mondial. ARUP, une firme d’experts conseils dans le monde du développement durable, plaçait Montréal, avec 29%, au 4e rang mondial des villes les plus « spongieuses », derrière New York, Toronto, Nairobi et en tête de classement, Auckland en Australie.
Souterrain
Montréal attaque cette situation de maintes façons. À la base, la mise à l’ordre des égouts souterrains et l’installation de bassins de rétention. Au cours des dernières années, la ville a ajouté quelques bassins à son arsenal déjà existant.
Voici les principaux bassins nouvellement construits ou prévus :
- Le bassin William, sous le futur parc Mary-Griffin dans Griffintown, peut contenir 12 millions de litres d’eau.
- Le bassin Lavigne, situé sous le parc Lefebvre à Ahuntsic-Cartierville a une capacité de 20 millions de litres d’eau.
- Le bassin Turcot (actuellement en conception et prévue pour 2027) aura une capacité de 30 millions de litres d’eau
- Le bassin Rockfield à LaSalle (en construction) avec une capacité de 45 millions de litres d’eau.
Notons que des travaux sont aussi en cours lors de mises en chantier majeures, par exemple, dans l’implantation du SRB-Pie-IX ou le boulevard du même nom est complètement remis à neuf incluant les conduites d’égout, d’aqueduc et de gaz. Ce qui explique en partie la durée interminable de ces travaux.
Hors terre
Mais ce qui nous intéresse vraiment c’est ce que nous pouvons voir. Ce qui nous affecte quotidiennement et la ville éponge ont plusieurs cordes à son arc, mais Montréal s’est arrêté surtout sur les concepts de parcs et de trottoirs éponges.
Le parc éponge montréalais, parfois appelé jardins de pluie ou water-square est conçu pour absorber et stocker l’eau de pluie, un peu comme… une éponge, avant de la relâcher lentement dans le sol ou les systèmes de drainage.
Les espaces publics sont aménagés avec des aires de biorétention, des zones humides, des plantes adaptées à l’absorption de grandes quantités d’eau et des surfaces perméables. En plus de gérer l’eau, ces nouveaux espaces apportent aussi des avantages sociaux en créant des espaces verts pour les habitants et en favorisant la biodiversité.
Depuis 2022, la ville a déjà aménagé presque dix parcs éponges et près de 800 trottoirs éponges végétalisés. Mais Montréal envisage d’aménager dans un avenir rapproché une trentaine de parcs éponges, en voici quelques exemples qui ont fait leurs preuves lors des pluies de 2024.
La place Alice-Girard et
le parc Pierre-Dansereau
Situés sur le Campus MIL de l’Université de Montréal dans Outremont, ces deux espaces publics voisines sont de parfaits exemples réussis de parc éponge. Le campus est situé sur l’ancienne gare de triage qui déjà à l’époque jouait le rôle de bassin de rétention des eaux de ruissellement.
Lors de la conception du projet, un système de drainage a été intégré afin de conserver cette fonction essentielle de rétention des eaux pluviales dans le futur quartier. Il a été décidé de combiner ce système de drainage avec les espaces verts, en prévoyant l’installation de bassins de rétention dans tous les nouveaux espaces publics.
Le jardin de pluie du parc Pierre-Dansereau peut être traversé à l’aide de petits ponts qui ne sont pas sans rappeler les ponts ferroviaires se voulant sans aucun doute un clin d’œil à l’histoire du lieu.
La place Alice-Girard permet le ruissellement des eaux vers l’intérieur de l’espace au lieu de l’envoyer directement à la rue. Des jardins de pluies et des espaces végétalisés permettent ensuite une accumulation intelligente de l’eau dans un bassin de compensation souterrain situé sous la fontaine de brumes au centre de la place.
Place des Fleurs-de-Macadam
Tout comme la place Alice-Girard du campus MIL, c’est l’équipe d’architectes paysagistes de NIP Paysage qui se retrouve à transformer ce qui jusqu’en 2017, une station-service au cœur du Plateau.
D’ailleurs, ce garage a autrefois été la propriété d’Armand Ferland, père du chanteur québécois Jean-Pierre Ferland dont une de ces chansons, Les Fleurs de Macadam, a nommé la place publique.
Situé sur l’avenue du Mont-Royal entre les rues Boyer et Mentana, le petit espace se veut un de ces « water-square. » Le concept du jardin de pluie est que l’espace est inondable lors d’événements de grandes pluies et que l’eau amassée y soit conservée jusqu’à 48h après la pluie, soit, jusqu’à ce que le réseau municipal soit en mesure de prendre cet excédent plutôt que s’y déverser directement.
Le planchodrome du parc Honoré-Mercier
Plus communément appelé un skatepark, celui du parc Honoré-Mercier dans l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve est conçu de façon à recueillir et retenir temporairement les eaux d’un secteur périphérique lors d’épisodes de pluies abondantes.
Cette eau est par la suite dirigée vers la noue de biorétention, une dépression du terrain conçue pour collecter, retenir et acheminer l’eau, permettant son infiltration grâce à la végétation. Les puisards de trop-plein situés au centre de la noue recueillent l’excédent d’eau qui ne peut s’infiltrer naturellement, évitant ainsi les débordements.
Voilà trois bons exemples de parcs éponges, c’est-à-dire, les bassins du Campus MIL, le water-square du Plateau et les noues de rétention de MHM. Mais j’aurais pu en nommer des dizaines d’autres qui ont fait leur apparition au cours des dernières années.
Les parcs se veulent habituellement de grands espaces, mais il est possible, à plus petite échelle, de faire une différence dans des endroits qui autrement, sont bétonisés et imperméables.
Les trottoirs éponges
Ce type de trottoir est aménagé de façon à recueillir les eaux excédentaires, et qui en permettent la rétention en période de pluies abondantes ou de fonte des neiges. Ce sont habituellement, des saillies végétalisées pouvant servir une double fonction.
Avant de toucher à la partie rétention d’eau, mentionnons que la saillie végétalisée entre aussi dans le projet de ralentissement de la circulation. Une rue plus étroite, souvent bordée de part et d’autre par des arbres ou autres éléments végétaux aura un effet dissuasif envers les automobilistes à rouler trop rapidement dans des secteurs urbains où les limites de vitesse sont souvent 30 km/h.
Le trottoir drainant est plus ou moins un mini jardin de pluie, une infrastructure verte qui recueille les eaux de pluie.
C’est principalement durant la réfection des rues que les avancées de trottoirs, plates-bandes ou fosses d’arbres sont aménagées sous le niveau de la rue. Des ouvertures dans la bordure du trottoir permettent à l’eau de s’y accumuler et réduire la quantité de pluie à se rendre à l’égout le plus proche.
Cela étant dit, je vous invite à visiter ces endroits lors des prochaines pluies importantes pour voir la différence. Montréal, pour le moment, tente, tant bien que mal à rattraper des décennies perdues où le maintien des rues s’arrêtaient à mettre une nouvelle couche d’asphalte comme un « plaster » sur une fracture ouverte.
La métropole est à la croisée des chemins où les changements climatiques rencontrent des infrastructures vieillissantes et si rien n’est fait, il y aura encore plus de sous-sols inondés et encore plus de rues qui se transforment en rivière.
De plus, il est préférable de voir le budget servir à la prévention de ces événements fâcheux plutôt que de servir aux dédommagements des sinistrés qui, sans ces infrastructures, risque d’augmenter.
Les résidents de régions rurales diront que ce n’est rien de nouveau, que ce ne sont que des fossés et je leur accorde. Mais ce n’est pas autant une révolution; qu’une remise à l’ordre de la nature urbaine.