À la fin du XIXe siècle, l’architecture art nouveau remporte un certain succès international. À Montréal, ce mouvement artistique aux lignes courbes et organiques, ne semble pas s’installer dans la bourgeoisie anglaise qui s’accroche à l’architecture victorienne jusqu’à l’arrivée du courant art déco vers 1920.
S’il y a des touches parsemées ici et là, les exemples se font rares. Par contre, un immeuble semble avoir été déraciné d’une rue de Prague, Paris ou Barcelone pour être déposé à l’intersection des rues Saint-Laurent et Sherbrooke. Je vous présente l’édifice Joseph-Arthur-Godin.
Aujourd’hui, l’immeuble est un des éléments composant l’Hotel10. Ils ont eu la gentillesse de nous ouvrir leurs portes et de nous offrir un tour guidé de l’endroit. C’est accompagné d’Ugo de la chaîne YouTube « Montréal dans ta pipe » que nous avons eu la chance de visiter le lieu.
Joseph-Arthur Godin (1879-1949)
Né en 1879, il étudie l’architecture à l’École des Beaux-arts de Paris. De retour à Montréal en 1898, J.-A. Godin expérimente avec le béton et plus particulièrement le béton armé encore relativement nouveau à l’époque.
Comme la majorité des architectes de l’époque, après s’être fait un nom sur des demeures bourgeoises, il est appelé à la construction d’églises et d’immeubles à saveurs culturelles. On lui doit d’ailleurs un plan d’aménagement de l’île Sainte-Hélène datant de 1909.
En regardant ses constructions, vous reconnaîtrez un style commun à chacune d’entre elles. À Montréal, on lui doit entre autres l’église Saint-Paul (1911), le théâtre La Tulipe (ancien théâtre des variétés-théâtre Dominion, 1913), la chapelle Scala-Santas de Pointe-aux-Trembles (1903) et l’académie Querbes d’Outremont (1916).
Ce qui retiendra notre attention ici ce sont les immeubles résidentiels de Godin. Que ce soit les appartements Riga (1914-2019) Saint-Jacques (1916) ou Laurier (1927), l’édifice signature de l’architecte demeure sans aucun doute celui qui tient son nom.
Malencontreusement, des histoires financières s’enchaînent tout au long de sa carrière trop courte pour un architecte qui aurait mérité un meilleur sort et une plus grande reconnaissance. Ses activités dans l’immobilier derrière lui, il devient notaire et se tourne vers la politique à la fin de sa vie. Il meurt à la suite d’une paralysie le 23 mars 1949.
L’édifice Godin
En 1913, J.-A. Godin se porte acquéreur du terrain de la famille Molson situé boulevard Saint-Laurent, voisin de l’Église Méthodiste Sherbrooke. C’est sur ce lot qu’il fait construire dans la deuxième moitié de 1914 l’immeuble qui se démarque principalement par son architecture de type art nouveau.
Mais il n’y a pas que le style unique qui marque l’importance de l’édifice Godin. Sa particularité est dans sa structure fabriquée de béton armé. Ce matériau consiste de béton coulé au-dessus d’une armature métallique et est habituellement utilisé pour les immeubles industriels et commerciaux.
Le béton armé apparaît à Montréal vers 1903 avec la construction du silo à grain no 1. Son utilisation pour un complexe résidentiel est donc une première à Montréal.
Les façades recouvertes de crépis blancs sur les rues Saint-Laurent et Sherbrooke présentent de grandes lignes courbes. Particulièrement les arabesques autour des balcons en coin et de la travée centrale en retrait de l’entrée principale qui cache un large escalier en colimaçon.
L’architecte s’est permis de mettre en valeur la forte dénivellation de Saint-Laurent vers la rue Sherbrooke au moyen d’une division horizontale bien marquée et de fenêtres au rez-de-chaussée qui apparaissent toutes de différentes dimensions.
Le building se voulait à sa réalisation une maison de rapport, c’est-à-dire, un immeuble à revenus, chose plutôt rare à Montréal à l’époque. Construits au coût de 20 000 $, nous pouvions y trouver un magasin et 24 logements sur quatre étages.
C’est en février 1915 que les problèmes financiers rattraperont Godin. Il se fait saisir tous ses biens, incluant le nouvel édifice qui passe au cours des années entre les mains de différentes compagnies.
C’est la communauté hellénique du grand Montréal qui sera propriétaire le plus longtemps entre 1967 et 2003. À noter que l’organisme est déjà propriétaire de la voisine maintenant connue sous le nom d’Église grecque Orthodoxe de la Sainte-Trinité.
L’édifice Godin est inscrit au registre du patrimoine culturel en 1990 et sert principalement de loft pour artistes et tout comme le secteur, à très mauvaise mine. Un incendie en 1986 viendra grandement endommager l’église qui sera laissée à l’abandon.
Malgré son état, le 2116 rue Saint-Laurent regorge de vie. Oui, le plâtre tombe des murs, mais cela n’empêche pas des artistes de s’y installer, les squatteurs et locataires s’entremêlent dans leur quotidien.
De Godin à l’Hotel10
À la toute fin du millénaire « la main » à un regain de vie, restaurants haut de gamme, clubs et un cinéma de répertoire branché développe un potentiel dans le site délabré de l’édifice Godin qui devient commercialisable.
On fait appel à l’architecte Dan Hanganu (Cirque du Soleil, Musée Pointe-à-Callière, HEC) pour reconvertir l’édifice ainsi que le terrain de l’ancienne église démolie qu’en 1997. Le résultat est un mélange de courbes fluides de l’immeuble d’origine qui n’a pratiquement pas de surface platte jumelée avec les lignes internationales, presque postmodernistes très droites de la nouvelle structure.
Si l’extérieur est resté le même après un bon nettoyage, l’intérieur est pratiquement refait complètement pour lui donner les allures de l’hôtel-boutique haut de gamme que les propriétaires, la Caisse de dépôt et placement du Québec et Daniel Langlois (cinéma Ex-Centris) ont en tête.
L’hôtel change de propriétaires que trois ans plus tard et devient l’adresse montréalaise de la chaîne Opus de Vancouver avant de devenir depuis 2012 L’Hotel10.
Le groupe Tidan, propriétaire actuel de l’hôtel est aussi derrière la transformation d’autres immeubles patrimoniaux comme le Club Mount Stephen, le Château Grosvenor et le Château Champlain.
André « Dédé » Fortin
À plus de 378 ans, Montréal a certes, une panoplie d’immeubles ordinaires où se cachent des histoires impressionnantes. La maison de Nelligan rue Laval ou bien la maison de Louis-Hippolyte-La Fontaine dernière sauvée des démolisseurs.
Mais qu’en est-il des expériences plus récentes ? Nous pouvons imaginer la maison de Leonard Cohen rue Vallière et justement, comme un savant mélange de Nelligan et Cohen, on retrouve une autre légende moderne, André « Dédé » Fortin.
C’est dans cet immeuble que le groupe mythique, les Colocs feront leurs débuts. Le groupe d’André Fortin qui a marqué une génération complète et chanté des paroles encore d’actualités y a habité de 1990 à 1998.
L’appartement au coin du 3e étage, que l’on peut voir régulièrement durant les entrevues, les documentaires ou dans les œuvres de Fortin était presque devenu un membre du groupe.
C’est avec cette idée en tête que Mme Jo-Anne Sauvé-Taylor, directrice générale de l’Hotel10 met de l’avant la proposition de transformer l’unité de coin de l’Hôtel boutique en lieu de pèlerinage.
La suite 2116, Chez Dédé
La chambre occupe environ le tiers de l’espace du loft original et est à des années-lumière de l’endroit poussiéreux qui rend maintenant un brillant hommage à l’artiste qui nous a quittés beaucoup trop tôt de façon tragique.
La suite qui porte le numéro de l’adresse originale de l’immeuble, le 2116, est remplie d’artefacts à l’image de Fortin, des citations sur les murs, des lettres envoyées ou tirées de ses cahiers d’écritures.
Avant d’entrer, il faut traverser le couloir avec une œuvre anamorphique d’une guitare, on tombe ensuite face à une porte qui avouons-le, sort de l’ordinaire, peinte d’une murale de Marc Sirus aux allures pop-art qui nous accueil.
En entrant dans la suite, on remarque une certaine sobriété, mais la vue sur le boulevard Saint-Laurent et Sherbrooke est à couper le souffle (sauf pour la station-service peut-être). Une deuxième murale, celle-ci de l’artiste « Mateo » présente à l’aide de documents écrits une image de ce qui pouvait se passer dans la tête de Dédé
Comme une image vaut mille mots, je vous invite à visionner cette vidéo de Montréal dans ta pipe qui m’accompagnait durant la visite.
L’édifice n’aura finalement jamais servi comme maison de rapport. Pourtant, le poids de son histoire va beaucoup plus loin que celle d’un architecte très talentueux, mais malchanceux. Joseph-Arthur Godin aura apporté de nouvelles techniques de construction avec une signature visuelle bien à lui.
Quelques années plus tard, un artiste, poète et compositeur-interprète viendra à son tour marquer par son audace, sa nouvelle façon de construire les phrases et qui met, lui aussi, fin à sa carrière beaucoup trop tôt.
Peut-être ce n’est que moi, mais je crois que le destin devait réunir Godin et Fortin et à défaut d’avoir vécu à la même époque, leur ont permis de se retrouver sous un seul et même toit.
Je tiens à remercier Jo-Anne Sauvé-Taylor et Hotel10 de nous avoir reçus et de nous avoir offert le tour du propriétaire de la suite 2116 chez Dédé bien sûr, mais de l’hôtel au complet.
À noter que ceci n’est pas une publicité, c’est nous qui les avons approchés pour visiter la suite. En cette période difficile pour tout le monde, l’industrie touristique et événementielle est particulièrement touchée par le manque de voyageurs et voyageuses à Montréal.
Pour faire différent et pour jouer les touristes dans votre propre ville, pourquoi ne pas aller passer juste une p’tite nuite chez Dédé ? Peut-être serez-vous inspiré par l’ambiance de l’immeuble comme d’autres l’ont été avant vous.
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