Un soir brumeux, des voyageurs descendent la Rivière-des-Prairies et s’installent sur les berges des rapides, sur l’île des Jésuites où se trouve de nos jours le Parc de la Berge des Écores. Nos voyageurs remarquèrent la lueur d’un feu de camp, pour se divertir ou par curiosité, trois d’entre eux décidèrent de rejoindre les canotiers qui se réchauffent au bord de ce feu. Une fois sur les lieux, aucun canot, aucun voyageur, un seul homme se chauffait, la tête entre les mains, les coudes appuyés sur ses cuisses. Le sauvage immobile, les gouttes d’eau qui tombaient de son corps mouillé sans tremper le sable sous lui. Le feu, bien qu’ardent, ne brûlait ni les mains, ni l’écorce que nos voyageurs y jetèrent.
Pour convaincre leurs compagnons de voyage restés au campement, ils apportèrent dans leurs mains un tison du feu. Au moment où chacun était à examiner ce feu magique, un énorme chat noir poussant des miaulements épouvantables se mit à faire le tour du groupe, s’élançant sur leur embarcation, mordant de rage le canot. Pour l’en éloigner, un des canotiers lui lança le tison du huron. L’animal le ramassa dans sa gueule et disparut dans la forêt après avoir jeté un regard furieux au groupe. Ces derniers apprirent par la suite que ce personnage, le Noyeux, apparaissait parfois près du Sault-aux-Récollets dans lequel en 1625, il avait précipité le Père Nicolas Viel et son néophyte Auhaitsique (Ahuntsic). Le Diable, le chat, l’aurait changé en loup-garou alors qu’il se faisait sécher après avoir noyé les deux hommes.
Ce conte que j’ai dû résumer, écrit par le Kamouraskois Jean-Charles Taché en 1884, raconte une légende basée sur un fait important dans l’histoire de la toponymie montréalaise. Il vous est possible de le lire en entier ici. Taché lui-même est rappelé dans la toponymie du quartier avec la Rue Taché. L’Histoire de la noyade du père Récollet Nicolas Viel et de son apprenti Ahuntsic dans les saults (rapides) de la Rivière-des-Prairies. Dans notre chronique toponymique d’aujourd’hui je vous explique d’où vient le nom de Sault-aux-Récollets et d’Ahuntsic.
Selon ma seule et unique opinion, l’emplacement de l’ancien village du Sault-aux-Récollets fait partie des points historiques les plus importants de Montréal avec le Vieux-Montréal, le Golden Square Mile et le Canal Lachine sur toute sa longueur. Pourtant, je serai surpris de connaître le résultat d’un vox-pop à la question « Savez-vous où se trouve le Sault-aux-Récollets? ». Je suis assuré que peu de gens pourraient me dire où cette ancienne ville se trouve sur la carte de la ville. Même que le nom lui-même resterait plusieurs pantois. Voici donc un peu d’aide.
Un sault, en ancien français, est un rapide. Comme les Rapides de Lachine portaient le nom de Sault-Saint-Louys, nommé par Champlain en honneur de français qui s’y noya en 1611. Tout comme ceux sur le Saint-Laurent, les rapides de la Rivière-des-Prairies entre l’île Jésus et l’île d’Hochelaga était dangereux et pour les Européens, moins habitués que les Hurons locaux, se devaient de faire du portage pour s’assurer le bon passage de ces saults. Or, en 1625 quand le Père Récollet voulu se rendre à Québec après avoir passé deux ans en Huronie (région de 2300 km2 au nord des Grands Lacs). Des Hurons-Wendats de la tribu Attignaouantan (Peuple de l’Ours) allant dans la même direction invitèrent le bon père et son apprenti à les accompagner dans leurs canots. Le Père Viel, y voyant une bonne occasion se joignit alors au groupe de voyageurs. À noter qu’il y a 390 ans, nous sommes au tout début de la colonisation européenne sur l’île. Les Sulpiciens eux s’installèrent sur le Mont-Royal pour y bâtir leur fort et convertir les « sauvages » tandis que les Récollets, se rendaient dans les villages en tant que missionnaires de la foi chrétienne. Le canot d’écorce est de loin la façon la plus rapide et la moins coûteuse de voyager du point A au point B.
Si nous savons que Nicolas Viel, né à Coutances, en Normandie, arrive en Nouvelle-France vers 1623 et se rend rapidement en Huronie, l’histoire est un peu plus floue pour ce qui en est de l’origine d’Ahuntsic. À ce moment, on prétend qu’il est un Huron francisé, mais on apprendra plus tard qu’il est véritablement français et adopte le mode de vie huron-wandat, les locaux l’appellent Auhaitsique voulant dire en langue Wandat; frétillant, petit. Le jeune homme arrive en 1619, passera deux hivers à Québec avant de joindre le Père Viel pour sa mission vers les Grands Lacs.
Les indiens ont l’habitude de ne jamais asseoir plus d’un seul Européen par canot, pourtant, selon les écrits, cinq hommes, trois locaux et nos deux comparses se lancent dans le rapide, l’eau frappe hardiment les côtés de l’embarcation, ce dernier rebondit dans les remous, le visage des trois indiens s’assombrissent et leur voix se taisent, c’est à ce moment qu’ils chavirent au dernier saut peu avant l’île de la Visitation. Le père récollet et son apprenti ne remonteront jamais à la surface vivant, ils ne se rendront jamais à Québec, leur sort en est jeté. Les corps furent retrouvés quelques jours plus tard et seront inhumés à Québec.
Malgré une certaine amitié entre les Hurons et les Français, un voyage avec entre les deux groupes n’était pas gage d’un voyage sécuritaire. Des histoires de pères jésuites pillés et abandonnés ne sont pas histoires courantes, mais ne sont pas impossibles non plus. Le Père Jean de Brébeuf fut laissé dans un bois, sans vivre avant d’être secouru. En 1633, soit huit ans après la mort tragique du Père Viel, un autre drame frappe et éclairci un peu la relation entre le Peuple de l’Ours et les colons français, un coureur des bois depuis 1608, Étienne Brûlé est tué par les Hurons-Wandat qu’ils accusent de trahison et d’avoir passé aux Iroquois. Plusieurs jésuites font alors une corrélation, probablement fausse, entre la mort de Brûlé et de Viel. Des textes des Pères Leclerqc, Charron et Boisvert qui vécurent plus ou moins à différentes époques vont faire passer Viel et Ahuntsic pour rien de moins que des martyrs au même titre que Gabriel Lalemant et Jean de Brébeuf, capturés, torturés et tués par les Irqoquois en 1649.
En 1903 sont érigées devant l’église de la Paroisse de La Visitation-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie, deux statues présentant nos protagonistes les peignant comme des martyrs. Les monuments, quoique restaurés sont encore présents de nos jours devant l’église. Les plaques que vous pouvez voir ci-bas clament et accusent haut et fort leur mort tragique aux mains de la méchante Tribu de L’Ours.
Nous savons les faits suivants, le Père Viel et le néophyte Ahuntsic se sont bel et bien noyés dans le rapide de la Rivière-des-Prairies. À savoir si cela était suite à une mort accidentelle ou un double assassinat, les 400 ans qui nous séparent de l’action font que nous ne le saurons probablement jamais. Même les rapides ont disparu de la Rivière-des-Prairies suite à la construction de la Centrale Électrique construite entre 1928 et 1930 en ligne avec le Boulevard St-Michel. Sa construction a ralenti le flot de la rivière et l’a retenu dans le bassin naturel qui recouvre l’endroit où ils auraient dû se trouver.
Du moins, voilà l’histoire la plus intéressante derrière le nom du Sault-aux-Récollets et d’Ahuntsic nommé en honneur de martyrs jésuites, mort pour la sainte parole. Une autre histoire, beaucoup moins piquante fut tout simplement que des Pères Récollets s’installèrent à la hauteur des rapides de la Rivière-des-Prairies au Fort Lorette et que le nom est resté pour le village.
Entre la fondation de la paroisse ne 1749 Sault-aux-Récollets, la séparation du Village d’Ahuntsic en 1896, de la création de la Paroisse de Bordeaux par détachement en 1897, de la création de sa charte de ville en 1914-1915 pour finalement être annexé à Montréal en 1916. Ce coin de Montréal aura vu beaucoup de l’histoire de la ville y passer. Une légende veut que Cartier, lors de son deuxième voyage en 1535 voulant se rendre au village d’Hochelaga a remonté le fleuve Saint-Laurent jusqu’au bout est de l’île, pour ensuite prendre, non pas le fleuve, mais la Rivière-des-Prairies. Arrêté par le rapide, il emprunte un sentier que les Amérindiens prenaient pour se rendre au village. Il reste un petit bout de ce sentier piétonnier que l’on nomme le Chemin des Sauvages, aujourd’hui asphalté entre le Cimetière du Sault et le Collège Mont-Saint-Louis, séparant le Boulevard Henri-Bourrassa et l’avenue Camille-Paquet. Le passage de Jacques Cartier sur vos terres est une preuve irréfutable, s’il en est une, que l’histoire remonte à loin dans ce coin de la ville.
Les équipes du Collège Ahuntsic (donc je suis personnellement issu) se nomment les Indiens et les Indiennes, un parc où aurait été célébrée la première messe à Montréal sur le bord de la rivière porte le nom du Père Nicolas Viel ainsi qu’une petite rue. Les quartiers de Sault-aux-Récollets et d’Ahuntsic sont nommés en honneur de deux personnes qui sont peut-être, ou peut-être pas, des martyrs chrétiens de la colonisation. Je n’ai mentionné que les grandes lignes de l’histoire de la mort de Viel ici. M.Robert des Archives de Montréal a fait une courte chronique sur le sujet dans l’émission Montréalité de MaTV.
Avez-vous des suggestions de quartiers, de rues ou de parcs auxquels vous aimeriez en savoir plus? Connaissiez-vous l’histoire du Père récollet et son collègue? Les indiens étaient coupables ou non? Partagez votre point de vue et surtout, bonne lecture.