Qu’ont en commun Benito Mussolini et Montréal? La réponse, l’artiste montréalais Guido Nincheri. Je sais que ce n’est pas bien de réduire un artiste de la trempe de Nincheri à une seule de ses œuvres, mais la fresque de l’Église Notre-Dame-de-la-Défense dans la Petite Italie reste l’œuvre la plus connue du Michel-Ange de Montréal.
L’artiste religieux le plus actif d’Amérique du Nord au 20e siècle arrive à Montréal en 1914 à à l’âge 29 ans et il y restera presque toute sa vie. Voyageant entre les différentes églises en construction au Québec durant ses années prolifiques de 1910 à 1935 avec ses vitraux, fresques et architectures. Né en 1885 à Prato en Toscane, il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Florence avant de se rendre en Amérique du Nord en 1913 pour son voyage de noces où il devra rester suite à la Première Guerre mondiale. Il s’installe pour quelques mois à Boston où il décore la « Boston Opera House ». C’est en 1914 qu’il s’installe avec Giulia, son épouse, dans ses studios de la métropole.
Avec sa participation à plus de 220 constructions au Canada et en Nouvelle-Angleterre, Nincheri est probablement l’artiste le moins connu des Montréalais et pourtant, vous avez sans doute déjà admiré une de ces œuvres sans le savoir. Moi-même, je ne l’ai découvert que dernièrement. Son nom apparaissait sans arrêt durant mes recherches pour d’autres sujets. Même si je me considère un athée de la pire espèce (vous savez, ceux qui sont fatiguant), la religion et l’architecture religieuse sont une partie très importante de l’histoire de notre ville. Il est donc difficile d’ignorer les architectes et les artistes ayant forgé la ville aux cent clochers.
Arrivé en ville, il se trouve du travail chez l’artiste liturgique Henri Perdriau, mais l’élève dépasse rapidement le maître. En 1924, il ouvre son propre studio et embarque dans le projet de 125 vitraux de la cathédrale de l’Assomption à Trois-Rivières, projet qui durera 10 ans. Il créa plus de 5000 vitraux dans neuf provinces canadiennes, dans plusieurs états américains et à l’intérieur d’une quinzaine d’églises montréalaises. Même si la fresque de Notre-Dame-de-la-Défense est son œuvre la plus connue, sa plus belle création est sans aucun doute l’intérieur de l’Église Saint-Léon de Westmount incluant les vitraux, mais également une fresque digne de n’importe quel grand maître italien. Malgré qu’il soit reconnu pour son œuvre chrétienne, Nincheri a également créé des murales pour des commerces, des bureaux et des théâtres.
Peinte à la demande des responsables de la nouvelle église construite pour la communauté Italo-Montréalaise qui, entre 1900 et 1911, passe de 1600 à plus de 7000 personnes sur une population montréalaise qui compte environ 275 000 résidents. C’est pour cette communauté grandissante qu’est alors construite la Chiesa della Madonna Della Difesa au 6800 Henri-Julien par l’Archidiocèse de Montréal alors sous Mgr Bruchési. Peinte entre 1930 et 1933, Guido Nincheri est alors appelé à créer la plus grande fresque qu’il a la chance de peindre. Surtout qu’elle se retrouvera dans une église dont il a été l’un des architectes 11 ans plus tôt.
Une mise en contexte, depuis 1925, le consulat italien monte des opérations de propagande en faveur de Mussolini pour la diaspora italienne outre-mer. C’est dans cette ambiance et dans ce contexte politique qu’est dessinée entre 1930 et 1933 l’abside de l’église. La fresque honore le traité entre le Saint-Siège et l’Italie, aussi appelé « Accords du Latran » signés en 1929 entre Benito Mussolini et le Pape Pie XI, entente qui mena à la création de l’état de la Cité du Vatican. Quelques années plus tard, soit le 1er septembre 1939 est déclaré la Seconde Guerre mondiale et comme plusieurs Italiens du Canada. Nincheri est catégorisé comme fasciste, arrêté en 1940 et envoyé au Camp de Petawawa où il continue à peindre et dessiner. Il dessine entre autres le prisonnier POW 694 aussi connu sous le nom de Camillien Houde, qui utilisa cette œuvre lors de la campagne à la Mairie de 1944. Il est libéré trois mois après son arrestation quand Giulia convainqua la GRC avec les croquis originaux que son mari fût forcé par les doyens de la paroisse à peindre « Il Duce » au risque de perdre le plus gros contrat de sa carrière.
Malheureusement pour Montréal, peu après sa libération de Petawawa, il déménage à Providence dans le Rhode Island, faisant le voyage régulièrement entre son studio de Montréal et celui de Providence.Il meurt à 88 ans, le 1er mars 1973 aux États-Unis, son studio est laissé à un de ses protégés, Matthew Martinaro, qui continua l’’œvre de son professeur jusqu’’u début des années 1990.
Le Musée du Château-Dufresne, que Nincheri aura décoré pour les frères Dufresne acquit l’atelier de l’artiste pour en préserver l’héritage. Une visite du studio d’Hochelaga est comme une visite dans le temps, des plans, des épreuves et des œuvres non complétées de Nincheri s’y trouvent, comme s’il était que parti pour prendre une bouchée au Jardin Tiki. C’est en son honneur qu’en août dernier, l’établissement fut rebaptisé Le Musée Dufresne-Nincheri.
Une rue, un boulevard, un parc? Nincheri fut un extraordinaire Montréalais et mérite une plus grande reconnaissance ici même où il a créé des vitraux d’une qualité encore étudiée à ce jour. Même l’Italie l’a nommé chevalier de son vivant en 1972. Je n’ai absolument rien contre le musée qui porte son nom, mais j’aimerais voir plus de reconnaissance pour cet artiste majeur qui aura fait de Montréal un lieu important de l’art du vitrail et de la fresque.