Mordecai finalement

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Mordecai Richler silhouette

En 2013, l’arrondissement de Rosemont-Petite-Patrie annonçait en grande pompe qu’ils nommeraient une rue et une place publique au nom du cinéaste controversé Pierre Falardeau décédé en 2009. Cela aura pris que trois ans et demi pour reconnaître l’importance culturelle et politique que fut Falardeau sur le Montréal moderne. Le cinéaste ouvertement séparatiste et grand artiste ne fut rien de moins qu’un personnage important pour des millions de Québécois et environ la moitié des Montréalais. Il est certain que Falardeau n’était sûrement pas un choix toponymique de qualité pour la moitié de Montréalais de souche anglophone qui ont probablement vu encore moins de raisons de se retrouver à R.P-P. Qu’on l’aime ou non, il est le genre de personnalité qui a mis Montréal à l’avant-plan de son art.

Pourtant, pas trop loin, mais en 2015, un autre Montréalais se voit finalement honoré plus de 14 ans après son décès. Le 12 mars prochain, le Maire Coderre fera l’annonce que la superbe Bibliothèque du Mile-End sera renommée en honneur de l’écrivain Montréalais Mordecai Richler en plus de le nommer citoyen l’honorifique.

La Famille Richler est arrivée en 1904 quand le grand-père de Mordecai immigre à Montréal depuis L’Europe de l’Est et devient rapidement un homme d’affaires respecté, ferrailleur et père de 14 enfants. Richler voit le jour le 27 janvier 1931. La famille habite dans un ghetto juif autour de la rue St-Urbain. Cette rue sera même immortalisée dans le roman de l’auteur « Cavalier de St-Urbain ». Enfance en grande partie orthodoxe juive difficile durant la guerre, Mordecai voit ses parents se séparer en 1943 suite à la demande de sa mère, Lily, d’annuler le mariage sur les bases qu’elle était sous l’âge légal permis lors de la cérémonie. Il fréquente l’École Secondaire Baron-Byng de la rue St-Urbain. L’école nommée en honneur du Compte Byng de Vimy et ancien gouverneur du Canada, aussi connu pour avoir fait don du Trophée Lady Byng encore décerné au joueur de la LNH ayant démontré le meilleur esprit sportif. L’école est toujours là, aujourd’hui, du moins le bâtiment l’est, et héberge les bureaux de Jeunesse Au Soleil. Sans abandonner ses racines juives, il renonce tout de même aux pratiques orthodoxes et abandonne l’Université George-Williams (Concordia aujourd’hui) après seulement sa deuxième année. Après une courte période comme journaliste du Montreal Herald, le Montréalais voyage l’Europe entre 1949 et 1951, s’installe durant une période importante à Paris où il écrit son premier œuvre de fiction, « L’acrobate »

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Il revient à Montréal les poches vides et travaille entre autres à la radio de la CBC, vers 1954 « L’acrobate » est finalement publié au canada avec une réception modeste. Richler retourne alors en Angleterre où il rencontre sa première épouse une Québécoise, sa doyenne de neuf ans, Catherine Boudreau, qu’il divorcera assez rapidement. Durant les préparatifs du mariage à Catherine, il rencontre et est « emporté » par Florence Mann, alors épouse d’un ami scénariste Stanley Mann (Conan, The Naked Runner). Les deux, suite à l’échec de leur précédente union se marient en 1960 et c’est cette relation qui durera jusqu’à la mort de l’auteur. Richler publie deux autres ouvrages, mais ce n’est qu’en 1959 avec la publication de « Apprentissage de Duddy Kravitz » que l’auteur voit son nom placé parmi les auteurs importants de sa génération. L’histoire d’un jeune juif de Montréal déterminé a monté les échelons de la société. Le livre sera porté un grand écran en 1974 avec un jeune Richard Dreyfuss dans le rôle principal et Micheline Lanctôt dans le rôle de son épouse Québécoise. Une des scènes les plus reconnues du film est sûrement quand le jeune Kravitz rencontre son père au Wilensky’s Light Lunch de la rue Fairmount.

Il publiera plusieurs autres romans, « The Incomparable Atuk », « Cocksure », « Hunting tiger under glass » et « St-Urbain’s Horseman » avec les deux derniers remportant le prix du Gouverneur général suite à leur publication. Il revient à Montréal pour y rester en 1972 où il travaille dans le monde de la télé et du cinéma où il écrit lui-même le scénario pour l’adaptation de Duddy Kravitz ainsi que le scénario pour le film basé sur la Famille Bronfmans « Solomon Gursky was here » Son dernier roman « Barney’s version » sera publié en 98 et adapté pour le cinéma en 2010.

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Mordecai Richler sera surtout reconnu comme un « brasseur d’idées » avec ses commentaires sociaux dans le Maclean’s, le New York Time ou le New Yorker. C’est dans ce dernier qu’il froissa le plus de francophones avec un billet sur la répression de la langue anglaise au Québec qui deviendra en 1992 un ouvrage sur la division du pays « Oh canada! Oh Quebec! Requiem for a divided country » lui apportera beaucoup de critiques de la base politique séparatiste et même des menaces de mort. « Nous bataillons les stéréotypes avec des stéréotypes, si plusieurs Canadiens français avaient l’impression que les juifs de la rue St-Urbain étaient de manipulateurs du marché et secrètement riches, mon point de vue typique du Canadien français était un stupide mâcheur de gomme balloune, portant ses cheveux graisseux séparés au milieu qui se tenait à la commission des liqueurs » affirme l’auteur. Malgré ces coups de poing parfois sanglant, il savait que les Canadiens français étaient de bonnes personnes. « Le problème, c’est qu’il n’y avait aucune discussion entre les Français et les Anglais », comme quoi les choses n’ont pas beaucoup changé. « Si les Français étaient nos ennemis, des Pea-Soups, il y avait juste les Wasps qui étaient vraiment craints et haïs ».

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L’auteur souvent accusé d’antisémitisme avait dit dans une entrevue « je suis critiqué par les séparatistes, par les féministes, par l’establishment juif et pourquoi pas, j’ai tiré sur eux, je suis donc fair game » comme quoi il savait, et ce, jusqu’à sa mort en 2001 qu’il avait fait une différence. Le 3 juillet s’éteignit un des écrivains les plus importants du Canada et du Montréal anglais. Suite aux controverses de ses dernières années, l’auteur, qui comme vous avez remarqué n’avait vraiment la langue dans sa poche ne se verra pas honoré tel qu’il le devrait. Un belvédère laissé à l’abandon au pied du Mont-Royal fût nommé en son honneur, mais aujourd’hui encore en décrépitude et sans aucune plaque commémorative en son nom. Des plans depuis sa mort ont tous été considérés; une rue, une bibliothèque ou un parc du plateau ont tous été refusés par les élus. Une ruelle fut alors suggérée, mais refusée par la famille de l’écrivain.

La saga prendra fin et c’est avec une grande reconnaissance méritée et aux combien appropriées que l’ancienne Église anglicane construite en 1904 au 5434 de l’Avenue du Parc acquise et transformée en bibliothèque de quartier en 1992 par la ville portera maintenant le nom de l’illustre écrivain de la rue St-Urbain.

Intérieur de la Bibliothèque du Mile-End
Intérieur de la Bibliothèque du Mile-End

Les juifs anglais du Mile-End d’où est issu Richler, récemment chassés de leur pays par des guerres et le racisme se retrouvèrent à Montréal, inquiet et complexé par leur situation de minorité dans le Québec. En contexte, on peut voir les similarités avec les Canadiens français des années 60 qui eux se voient inquièts et complexé par leur situation de minorité dans une Amérique du Nord avant tout anglophone! Je ne sais pas si Falardeau et Richler se sont déjà rencontrés, mais si ces deux personnages montréalais plus grands que nature avaient eu la chance d’échanger autour de multiples verres qu’ils aimaient tous deux, ils seraient probablement devenus de grands amis malgré leurs importantes différences d’idéologie. Un exemple que les deux Montréal devraient suivre parce que si les blokes oublient qu’ils habitent dans une province francophone, les pea soups oublient trop souvent à leur tour que Montréal a aussi été fondé par les Anglais, les Juifs, les Écossais et les Irlandais catholiques et qu’ils ratent une belle culture connexe à la leur passant tout simplement sous leur nez tous les jours.

MISE À JOUR: Je tiens a préciser que suite à quelques courriels et des commentaires dans différents médias sociaux que je ne fais pas l’apologie de Mordecai Richler. Une personne m’a envoyé un courriel me disant que s’il me rencontrait, je cite « Me crisserait une ostie de volée ». Ce personnage au sourire rarissime qui acceptait très mal les gens qui avaient des opinions opposées aux siennes n’est pas dans mes bonnes grâces. ProposMontréal parle de toponymie, de Montréalais sous toutes leurs coutures et Richler était un Montréalais pure laine, même si son idéologie était au pôle opposé du mien. Il y a du positif partout et chez tout le monde, même Richler.

Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.