Le stationnement sacré ou le sacré de stationnement

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1046 au Complexe Desjardins, 550 au 1000 de la Gauchetière, 600 au Centre de Commerce Mondial, 481 à Guy-Favreau et 750 à la Place Bonaventure. Le commentaire que j’entends le plus souvent est; « Je ne vais pas au centre-ville, il n’y a pas de stationnements » et pourtant, je viens de vous faire découvrir 3 427 espaces. On recense plus de 12 500 places hors rue dans les parcs de stationnement se trouvant dans le secteur de la rue Ste-Catherine

Oui, je suis un de « ceux-là », un de ceux qui se déplacent 83,4 % du temps en voiture. Pourtant, je ne demeure pas en banlieue, mais mon bureau s’y trouve. Depuis maintenant près de 6 mois, je n’habite plus un endroit où j’ai une place privée intérieure et je dois me stationner sur la rue.

Résident de Verdun, j’ai deux stations de métro à moins de 10 minutes de marche de ma porte d’entrée et l’arrêt d’autobus arrête littéralement devant chez moi. Malheureusement, pour des raisons professionnelles, je dois être en auto durant la semaine. Je dis malheureusement parce que, je vous l’accorde, se garer au centre-ville n’est pas de tout repos, mais pas aussi désastreux qu’on voudrait vous faire croire.

Le mythe

Malgré ce fait, vous ne m’entendrez jamais répandre le mythe qu’il n’y a pas suffisamment de stationnement au centre-ville. Il y en a tellement que je garantis que vous pouvez en trouver une à moins de 10 minutes de marche de l’endroit exact où vous allez.

C’est notre mentalité nord-américaine, l’étalement urbain et l’idée que notre véhicule est un symbole de statut social qui nous a conditionnés à croire que l’auto était nécessaire. La simple idée de devoir marcher 10 minutes entre son parking et sa destination semble ridicule.

Je suis assez mal placé pour faire la morale à ce sujet, je ne vous dirais donc pas de prendre le transport en commun, d’utiliser le vélo ou les VLS. J’ai même déjà fait une collaboration sur la chaîne YouTube de l’ami du blogue, Montréal dans ta pipe où nous mettions à l’épreuve l’efficacité de l’auto et du vélo en ville.

Ce que je tiens à vous faire comprendre avec ce texte est tout simplement que le manque de stationnement sur rue n’est pas la cause de tous les problèmes et que les boutiques ne fermeront pas leurs portes si on en supprime. Nous offrirons même quelques astuces qui pourraient améliorer l’expérience client de se « parker en ville ».

Ce qu’on veut bien entendre

Pour observer notre obsession au stationnement, vous n’avez qu’à regarder les articles des médias et surtout les commentaires des lecteurs après l’annonce de la deuxième phase de revitalisation de la rue Ste-Catherine. Les critiques du projet en ont que pour les 484 places qui seront éliminées. Les trottoirs plus verts, élargis et plus sécuritaires pour les piétons passent bien en deuxième. Une rue plus humaine et conviviale? On en parle en fin de billet pour se donner bonne conscience de l’avoir mentionnée.

Comme l’internet offre une pseudo-part d’anonymat, on se lâche lousse, insultant à qui veut bien le lire la mairesse Plante, les Montréalais et les idées qui nous sortent de notre zone de confort et de notre quotidien. Parce que, croyez-moi, ceux et celles qui commentent ce genre de nouvelles sont tous des urbanistes qui savent ce qu’il y a de mieux pour notre société.

Les grand titres de La Presse, The Gazette et Journal de Montréal.
Les grands titres de La Presse, The Gazette et Journal de Montréal/24 heures.

Moins de stationnements, moins de clients, c’est logique. C’est aussi notre première impression et pourtant, une étude de 2015 à Toronto nous prouve totalement le contraire. Le sondage porte sur les habitudes de déplacement des clients sur Queen Street dans le quartier de Parkdale. Par souci de transparence, notons que l’enquête a été commanditée par la Coalition pour le transport actif de Toronto (Toronto Coalition for active Transportation) et qu’il y a possibilité de biais dans les résultats.

Presque la moitié des marchands croyaient que 25 % de leur clientèle venait en automobile et un quart d’eux poussaient jusqu’à croire que la moitié des consommateurs se garaient à proximité. Résultats? Des 698 acheteurs ayant répondu au sondage, ce n’est que 4 % qui avaient utilisé la voiture pour se rendre sur place. Avouons-le, Parkdale ressemble plus au Plateau qu’à Ville-Marie et 78 % des répondants aux questions résident le quartier.

Ce que je tenais à préciser est que notre esprit d’automobiliste semble nous jouer des tours. En grande majorité, les commerçants s’imaginent fortement que leur clientèle est en auto et ce n’est tout simplement pas le cas.

En comparaison

Imaginez la scène, vous avez besoin de vous rendre dans un commerce, disons Simons, et vous êtes en auto. Vous cherchez une place dans les environs de Ste-Catherine/Mansfield et vous n’en trouvez pas en face de l’adresse de destination, vous décidez d’attendre la fin de semaine et  vous dénichez une alternative dans un centre commercial quelconque. Samedi matin arrive, vous traversez un pont et vous vous retrouvez dans le centre commercial de votre choix, toujours pour le Simons en question.

Maintenant, calculez le nombre de pas que vous faites entre votre voiture et l’entrée de votre magasin. En regardant sur l’image satellite de Google Maps, la place la plus proche est à 200 m de la porte, soit l’équivalent de se garer sur De Maisonneuve si vous étiez entrés à celui de Montréal.

Par contre, la place est gratuite comparé à 3 $ l’heure sur rue à Montréal. Mais entre vous et moi, si vous êtes en route vers la Maison Simons, êtes-vous vraiment à 3 $ prêt? Ajoutez le temps et l’essence que cela vous a pris. Vous n’êtes plus nécessairement gagnant.

Statinnement du Carrefour Laval
Stationnement du Carrefour Laval

Je sais, c’est un exemple parmi tant d’autres et avec de la chance, une place plus près pourrait être disponible à votre arrivée dans le stationnement du Carrefour Laval, elle pourrait aussi être plus loin. De plus, la même chose peut-être évoquée si on parle du centre-ville.

Ce n’est pas le sujet aujourd’hui, mais je m’en voudrais de ne pas mentionner l’espace gaspillé par les stationnements de centres commerciaux, de l’impact sur l’écologie et à quel point ils sont entièrement vides pendant plus de 12 heures par jour.

Le flânage est permis

Les marchands ne prennent pas en considération la chance de leur situation avec vitrine sur le trottoir. Le consommateur piéton magasine sans même le savoir, il passe devant chaque boutique et les chances que celui-ci s’arrête sont significatives.

De plus, les piétons et les cyclistes ne sont pas restreints par le parcomètre qui s’écoule. Pendant ce temps, l’automobiliste lui se rend à une destination et retourne à son auto, moins enclin à l’achat compulsif.

En vous rendant en voiture, par manque de temps, vous dépenserez moins en moyenne, oui il a des exceptions parce qu’il est plus facile d’apporter des sacs dans une auto que dans le métro. J’ai donc des achats que je ne ferais jamais à pied et c’est normal. En vous stationnant au centre-ville vous devrez des fois marcher plus, mais pas autant qu’on peut le croire si l’on compare aux immenses parcs de béton autour des centres commerciaux.

Finalement, ce n’est pas nécessairement moins cher de se stationner en ville. Maintenant que ces trois mythes sur le parking sur rue sont mis de côté, d’où viennent ces idées préconçues?

La reine de la route

Les villes nord-américaines ont plus ou moins été construites par et pour l’automobile. Juste à regarder le Montréal pré-1950 dans nos photos d’archives partagées sur notre compte instagram pour comprendre (plug.) Quelques années après la guerre, la révolution automobile se fait sentir. Aux États-Unis, le président Eisenhower, impressionné par ce qu’il a vu en Allemagne, décide de créer un système d’autoroutes pour traverser le pays.

Pendant ce temps au Canada, la Transcanadienne est déjà en pleine construction depuis quelques années. L’arrivée des « Highways » est le clou dans le cercueil du transport par train qui laissera officiellement sa place à la voiture comme moyen de déplacement principal longue durée.

La voiture est abordable et les infrastructures facilitent son utilisation, c’est le début de l’étalement urbain, les gens ont de l’argent et veulent leur bout de terrain, veulent leur automobile et veulent surtout s’éloigner de la malpropreté des communautés plus pauvres souvent associées à la vie en ville.

Imaginer que même ici à la fin des années 1950, la Ville voulait faire passer une autoroute est-ouest par la rue Saint-Paul ? Ce projet, qui aurait détruit des immeubles plus que centenaire sera finalement remplacé au nord par l’autoroute Ville-Marie (RIP 1972-2018). L’industrie prospère du tourisme attiré par le secteur serait complètement étouffée et on peut sérieusement dire que nous l’avons échappé belle.

La Banlieue moderne

Mon bureau est situé à Longueuil, je suis le seul montréalais parmi tous mes collègues et je vais vous dévoiler un secret. Le banlieusard moyen ne vient pas à Montréal, il en a tout simplement plus besoin. Que ce soit les banlieues de la Rive-Sud, de la couronne nord ou de l’Ouest-De-L’Île. Les grandes marques ouvrent des boutiques phares autant à Laval, qu’à Brossard que sur Sainte-Catherine. Ajoutez à ça les achats en ligne et les raisons de se retrouver sur l’île sont de plus en plus rares.

Les résidents plus éloignés viennent à Montréal pour une occasion spéciale, un concert, un restaurant, voir les Canadiens ou que pour une soirée entre amis. Le stationnement sur rue est le moindre de leurs soucis, d’autant plus que plusieurs ne savent pas se stationner en parallèle (excusez 😉 ). Blague à part, celui-ci va payer un parc de stationnement, un point c’est tout. Il ne fera pas dix « tours du bloc » pour trouver une place. De toute façon, avec les détours et les constructions, il est probablement déjà en retard.

Ailleurs dans le monde

L’étalement urbain est plus inhabituel en Europe où les cités sont denses et leurs banlieues le sont tout autant. Les villes ont des centaines, voire des milliers d’années sur leurs cousines nord-américaines. Elles ont été fondées à l’époque ou l’auto était encore tirée par de vrais chevaux. Les rues étroites où les portes ouvrent pratiquement sur la voie routière ne sont pas rares et la voiture est devenue pratiquement persona non grata.

Madrid encourage de façon prioritaire le transport actif. 24 des rues les plus achalandées sont piétonnières ou laisse très peu de place à l’auto. Il y a une surcharge à votre stationnement si votre voiture est polluante et dans certains quartiers, il est simplement impossible de stationner si vous n’y habitez pas.

Grille tarifaire émise par la ville de Paris.
Grille tarifaire émise par la ville de Paris le 1er janvier 2018

Paris a pris les grands moyens cette année, le stationnement sur rue est 6 $ (4 €) l’heure et est limité à 2 h. Comme le système de paiement est à la plaque et non à la place vous pouvez vous déplacer, mais la limite reste 2 h quand même. Après cette période de temps écoulée, le prix augmente selon la période de temps. Après la 5e heure stationné au centre-ville, vous payez 18 $ (12 €) l’heure pour garer votre Citroën. Voilà où ça fait mal, directement dans le porte-feuille. 

Que vous conduisiez une Ferrari, une Lamborghini ou une Maserati, c’est fini, au centre-ville de Milan, appelé la zone C, il faut d’abord payer 7,50 $ (5 €) pour y entrer. Les résidents doivent aussi débourser 3 $ (2 €). Ensuite, si vous trouvez du stationnement, vous devrez payer un 1,25 € (1,90 $) de l’heure additionnel.

La rue la plus prestigieuse de la deuxième plus grande ville d’Italie est sans aucun doute là via Montenapoleone, vous y trouverez les Hermes, Dior, Versace, Valentino et j’en passe et pourtant, le stationnement est rare, très rare. 

La prestigieuse Via Montenapoleone
La prestigieuse via Montenapoleone

C’est bien beau tout ça, mais ici?

Les villes européennes ne sont qu’à quelques années de tout simplement bannir l’automobile dans les centres, encore moins vous donner le droit de stationner. Nous avons à Montréal un des meilleurs systèmes de transport collectif en Amérique, ce n’est pas parce que toi (oui oui, toi) tu ne l’aimes pas qu’il n’est pas efficace.

Vous n’êtes jamais plus loin qu’à 5 minutes de marche d’un arrêt d’autobus, le métro couvre presque tout le centre-ville et nous avons des systèmes alternatifs comme le bixi, les Communauto et les Uber pour vous aider dans vos déplacements.

Non négligeable le Montréal souterrain permet un déplacement à l’abri des intempéries sur une très bonne distance. Il est possible de se rendre du Centre Bell à la Place des Arts sans avoir à mettre un pied dehors. Pensez-y, le RÉSO a même une cote positive de 3.5/5 sur Yelp! C’est un meilleur score que le restaurant Queue de cheval.

Carte du Montréal souterrain.
Carte du Montréal souterrain.

Malgré toutes les raisons pour ne pas avoir à vous stationner au centre-ville, si vous n’avez pas le choix, il y a des innovations qu’une ville comme la nôtre pourrait facilement adopter. Stationnement Montréal a déjà une réussite entre les mains avec son application mobile pour le paiement à distance, mais comment pourraient-ils rendre l’expérience, disons, plus agréable?

Borne de paiement, Westmount.
Borne de paiement, Westmount.
Photo: Radio-Canada/Bahador Zabihiyan

Paiement par plaque

Le concept de paiement par plaque est depuis cette année la seule façon de régler son stationnement à Westmount. Le système consiste à payer pour la voiture et non pour la place utilisée. Vous identifiez votre véhicule à l’aide de votre numéro d’immatriculation et vous avez ensuite la liberté de déplacer votre auto n’importe où dans la zone désignée, et ce durant la période acquittée.

Ce système simplifie la vie de tous, vous n’avez pas à vous rappeler du fichu code, pas de danger de vous tromper en l’entrant et vous pouvez mettre à contribution votre toute nouvelle plaque d’immatriculation personnalisée. Selon le site CityLab , la ville de Pittsburgh a même vu une hausse dans ses revenus de stationnement suite à l’implantation de cette méthode.

La ProposMobile
La ProposMobile (J’ai changé pour un plus gros VUS depuis).

Des prix ajustables.

Avec le système de paiement par plaque, il est possible d’onduler le prix selon les situations. Les résidents pourraient par exemple payer un prix moindre que le visiteur de l’extérieur. La plaque est associée à une adresse, si cette adresse n’est pas dans une certaine zone, à Montréal ou même dans le Montréal métropolitain, le prix est différent.

Nous pourrions ainsi donner « un break » aux Montréalais qui payent déjà leur taxe locale et des frais additionnels sur le prix de renouvellement de leur plaque. Pendant ce temps l’automobiliste étranger utilise le système routier local sans en débourser un sou. C’est l’équivalent d’avoir un prix d’entrée dans une zone comme à Milan.

Autres exemples de variation possible, le tarif pourrait être moins dispendieux pour les véhicules électriques et pour les véhicules en libre-service. Ou, adapter à la période de la journée ou de la semaine. 

La carte Opus

Au moment où nous avons des téléphones avec puce où la radio-identification (RFID) est la norme, beaucoup trouvent Opus un peu désuet. La plupart des Montréalais ont tout de même déjà la carte bleue dans leurs poches, que ce soit leur passe mensuelle pour la STM ou bien une façon de payer pour Bixi. Opus devient peu à peu la carte du transport de la région métropolitaine. 

Pourquoi ne pouvons-nous pas y prépayer quelques heures de stationnement? Vous êtes à court de monnaie ou si vous ne voulez tout simplement pas utiliser votre Visa au moment de débourser à la borne, insérez-y la carte Opus.

Pensons à nous des fois

Je n’ai pas été en mesure de trouver les données, mais j’aimerais bien savoir qui se stationne sur la rue Ste-Catherine, au Marché Jean-Talon ou sur le Plateau-anti-voiture du méchant Ferrandez. Comme sur Queen Street à Toronto, je suis persuadé que ce sont pour la majorité, des locaux qui comme moi, vivent plus ou moins dans leur auto et non des touristes régionaux comme nous aurions tendance à le croire.

Il faut arrêter de se faire à croire que des places en moins vont dissuader les résidents des couronnes de Montréal de venir y magasiner, parce qu’ils n’y viennent déjà plus depuis des années. Vous doutez, demandez-leur.

Pour empêcher un exode vers la banlieue, il faut majoritairement repenser la ville pour ceux qui y habitent, pas pour ceux qui viennent une fois par mois. Nous devons prendre les entêtés et leur faire comprendre qu’un petit voyage en métro ne les tuera pas et que dans le fond, il fait bon marcher sur Ste-Catherine.

Parce que les gens ont peur de se faire « plateauyser » leur Centre-Ville, je tenais à mettre les pendules à l’heure sur le sujet d’aujourd’hui. Malheureusement, ce n’est pas moi qui réussirai à vous changer d’idée. Par contre, si je peux vous faire penser un peu, ce sera mission accomplie.

Comme vous préférez de loin les textes sur l’Histoire que ceux sur l’urbanisme ou le sport, je vous offre une photo d’archives pour vous calmer un peu. Voici ce qu’avait l’air le secteur de l’Hôtel de Ville. Maintenant, est-ce que je vous ai convaincu?

Quelques lectures sur le sujet :
National Geographic, To curb driving, Cities cut down on car parking
The Guardian, Lots to lose: how cities around the world are eliminating car parks
Why Local Businesses Shouldn’t Worry About Eliminating On-Street Parking

Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.