Le Palais de Cristal

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Depuis sa fondation, Montréal a vu beaucoup d’immeubles passer dans ses rues. Si la majorité est anonyme, d’autres auront marqué leur passage. L’hôtel Laurentien, le Drummond Court ou la gare Bonaventure en sont probablement des exemples valables. Pour nous, c’est l’unique Palais de Cristal qui est tout simplement impossible d’ignorer quand notre regard le croise sur une photo d’époque. Il est temps d’en dévoiler la petite histoire.

Groupe devant le Palais, 1882
Groupe devant le Palais, 1882
Photo:BaNQ, P34,S7,P108

La Chambre des Arts et Manufactures

Ce groupe a pour mandat de sensibiliser la population aux nouvelles techniques, aux arts, aux sciences appliquées à l’industrie et voir à la formation d’ouvriers qualifiés. Il est composé du ministère de l’Agriculture ainsi que des délégués des chambres de commerce, des instituts d’artisans et des différentes instances universitaires.

Par exemple, en 1859, la chambre du Bas-Canada regroupait approximativement 70 membres. Dont le surintendant de l’instruction publique, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1820-1890) et le ministre de l’Agriculture, John Jones Ross (1831-1901) qui plus tard, deviendront respectivement les premier et septième premiers ministres de la province.

L’inspiration universelle

Nous sommes en 1851 à Londres. Pour l’occasion de la « Great Exhibition of the Works of Industry of all Nations » on fait ériger dans Hyde Park un grand immeuble de verre à structure en fonte qui servira de salle d’exposition, le « Crystal Palace. » 

Le Crystal Palace de Londres
Le Crystal Palace de Londres

Quatre ans plus tard, ce sera au tour de Paris d’avoir le sien et de faire se construire spécifiquement pour l’occasion, cela donnera le Palais de l’Industrie. L’Immeuble de verres situé entre la Seine et les Champs-Élysées sera démoli en 1896 pour faire place au Grand Palais qui s’y trouve toujours d’ailleurs.

Ça ne prendra guerre plus à nos amis de la Chambre des Arts et Manufactures pour être inspiré et rêver à de grandes choses pour la métropole du dominion. Malgré le manque de fonds, ils veulent bâtir à Montréal un Palais de cristal et heureusement, l’annonce de la venue prochaine du Prince de Galles au Bas-Canada pour l’inauguration officielle du pont Victoria fera débloquer le projet.

New York Illustrated News
Gravure du New York Illustrated News, 6 septembre 1860.

Le choix du site

Plus ça change, plus c’est pareil. Vous rappelez-vous la saga pour le site du CHUM et de son choix d’emplacement? Remontez en arrière de 150 ans et vous avez dans les médias de l’époque la même polémique. Où ira le Palais?

L’Université McGill offre un terrain à l’organisme dans l’ouest, rue Sainte-Catherine, tandis que le gouvernement provincial l’imagine dans l’est, rue Notre-Dame. Ce n’est rien de moins qu’un débat politique entre anglais et canadien-français qui se dessine et ce sera la mairie de Charles-Séraphins Rodier (1797-1876) qui prendra l’ultime décision.

Le nouveau Palais de Cristal de Montréal sera construit dans le quadrilatère délimité par les rues Sainte-Catherine, Catcart, Union et University (boul. Robert-Bourassa) sur le terrain offert par l’université où l’on retrouve aujourd’hui, la ruelle Palace, une petite voies assez minable rappelant l’existence de ce bâtiment grandiose.

PLan de la ville 1872
Plan de la ville par Plunkett & Brady , 1872
BaNQ, 0003669942

Dans les temps

On fera appel à l’architecte de Liverpool, installé à Montréal, John William Hopkins qui n’aura que cinq mois pour dessiner et ériger le nouvel immeuble. En plus du Palais, Hopkins sera plus tard reconnu dans la ville par sa participation avec des immeubles comme Ravenscrag de Hugh Allan, Le 357 de la Commune Ouest et l’édifice Wilson (380 rue Saint-Antoine O.) aujourd’hui siège de la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain.

Le 25 août 1860, dans les temps et dans les coûts, le Prince Albert Edward de Galles tout juste après avoir coupé un ruban sur le nouveau pont sur le Saint-Laurent, inaugure le bâtiment et l’ouverture officielle de l’Exposition de produits agricoles et industriels de l’Amérique du Nord britannique. (Ils auraient dû l’appeler Expo 60, c’est plus court.)

Billet pour l'inauguration
Billet pour l’inauguration en présence du Prince de Galles
Photo: Musée McCord, M14327

Nous pouvons lire le discours du prince dans le journal La Minerve du 28 août 1860, « Je n’ignore pas la haute position que le Canada s’est acquise dans la grande exhibition de 1851 — toutes mes sympathies sont acquises à cette exposition [de Montréal] à laquelle je souhaite les plus heureux succès » 

Inauguration par le Prince de Galles
Gravure de l’intérieur durant l’inauguration.
Photo: Musée McCord, M985.230.5026.2

L’architecture du Palais de Cristal

Son architecture est impressionnante. La façade principale est fabriquée de fer et de verre comme pour celui de Londres. Les parois latérales sont en briques blanches teintées de roses avec des éléments en fer et en bois peints pour correspondre à la brique.

Si le bâtiment devait mesurer 180 par 200 pieds à l’origine, on le construit avec un transept tronqué, réduisant ses dimensions à 180 par 120 pieds. Chacune des baies structurelles était subdivisée en trois arches avec en leurs centres de grandes verrières.

Réception au Crystal Palace
Réception au Crystal Palace en 1874
BaNQ, MAS 5-153-a

Entre les grands salons qui auront lieu à Montréal de 1860 à 1896, on y retrouve une bibliothèque, un musée, des salles de cours et durant l’hiver une patinoire. On vient y voir des événements sportifs, des exercices militaires et même les festivités de la Saint-Jean-Baptiste.

Achat et déménagement

Malgré le succès des expositions annuelles, la construction aura un impact financier important sur les livres de la Chambre qui mettra presque dix ans à s’en remettre. L’immeuble est sous-utilisé, ce qui en rend le financement difficile et avouons le, n’est pas sans rappeler un certain amphithéâtre dans une certaine capitale provinciale. (Plus ça change…)

Vue à vol d'oiseau des terrains de l'Exposition provinciale de 1881
Vue à vol d’oiseau des terrains de l’Exposition provinciale de 1881
Journal L’Opinion Publique, 29 septembre 1881

En 1877, pratiquement abandonné, le gouvernement du Québec prendra possession de l’immeuble pour une somme de 80 000 $. Tout comme son grand frère à Londres, il sera déplacé. brique par brique. sur les terrains voisins du nouvellement inauguré parc du Mont-Royal, la ferme Fletcher (Fletcher’s Field pour les intimes). L’acquisition récente du gouvernement est un bout de verdure coincé entre l’avenue du Parc et l’Hôtel-Dieu connu maintenant par son nom officiel de parc Jeanne-Mance.

Par la bande

Ce ne serait pas une histoire de Montréal s’il n’y avait un peu de hockey dans tous ça. Oui, le tout premier match de hockey organisé intérieur date de 1875 à l’Aréna Victoria de la rue Drummond. Mais c’est cette image qui est considérée par les historiens comme étant la toute première photo d’une équipe « en uniforme. » Ce n’est pas une page d’un livre « Où est Charlie », mais bien l’équipe de l’Université McGill sur la patinoire du Palais de Cristal.

Première photo d'une équipe de Hockey en uniforme
Première photo d’une équipe de Hockey en uniforme
Photo: Musée McCord, MP-0000.1589

L’incendie de 1896.

Tout juste passé minuit, le 30 juillet 1896, un feu se déclare sur la rue Saint-Pierre à l’intersection de la rue des Commissaires, le magasin-entrepôt de Howden, Starke et cie, marchand de fer se propage rapidement à son voisin. Les pompiers se dépêchent de demander l’aide des casernes voisines pour prévenir les dégâts.

Le Monde illustré, Vol. 13, no 641 (15 août 1896)

Pendant ce temps, selon La Patrie du 30 juillet 1896. « Vers une heure du matin, le tocsin appelait les pompiers à la boîte 224 pour éteindre une véritable conflagration qui venait de se déclarer dans un des édifices du terrain de l’exposition. Le temps de le dire, les flammes ce sont propagées avec une rapidité étonnante et la bâtisse principale, le vieux palais de Crystal, n’était qu’un brasier »

Les pompiers déjà les mains pleines avec l’alarme de la rue Saint-Pierre n’auront jamais eu le temps de remonter la ville pour sauver le Palais. La Presse mentionne la perte d’une « des constructions les plus anciennes, et parmi les mieux connues de Montréal, le palais de Crystal, situé sur le terrain de l’exposition, »

Illustration du journal La Presse du 30 juillet 1896
Illustration publiée dans La Presse du 30 juillet 1896

Avec un problème de pression dans les boyaux et malgré le renfort des pompiers de la municipalité de Saint-Louis-du-Mile-End, c’est trop peu, trop tard pour le Palais de Cristal de 1860. Même situation pour le pavillon des machines où loge la Compagnie du chemin de fer du Parc et de l’Île qui subira des pertes considérables.

Fletcher's Field
Le Palais de Cristal et Fletcher’s Field, vers 1880
Photo: Musée McCord, MP-0000.2862

Le brasier est d’une telle importance qu’on craint même pour le village voisin de Saint-Jean Baptiste. Malgré les assurances, les dommages grimpent à plus de 50 000 $ et selon The Gazette ces coûts furent assez dissuasifs à la reconstruction d’un nouveau pavillon pour l’exposition à qui on venait plus ou moins de signer l’arrêt de mort.

Voici que se termine la petite histoire à la fin tragique de l’ancêtre de notre palais des Congrès actuels. Avec ses grandes baies vitrées colorées et sa verrière de 190 m de la rue Viger, ce dernier pourrait certainement lui aussi porter le toponyme de Palais de Cristal!

Poster de l'exposition Agricole de 1884
Affiche au graphisme impressionnant de l’exposition Agricole de 1884
Photo: Musée McCord, M977X.56

Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.