La recette derrière l’Orange Julep

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Savant mélange de curiosité touristique et de souvenir de jeunesse, l’Orange Julep est comme un phare pour les voyageurs du canyon Décarie. Voici la petite histoire derrière cette icône de Montréal.

Hermas Gibeau

Retournons à l’époque des années 1920-1930, l’orange est encore un fruit exotique pouvant être dispendieux pour la classe ouvrière. Par souci d’économie et pour en réduire le coût, cette recette familiale dilue le jus d’orange avec du lait et des œufs, beaucoup plus accessibles, qui confère au mélange une saveur onctueuse et rafraîchissante.

Adorant le mélange, Gibeau croit pouvoir en tirer profit et débute donc la commercialisation de la mixture. D’abord dans un modeste kiosque au parc Belmont, l’homme d’affaires reconnaît rapidement l’engouement pour le jus et décide d’ouvrir un premier restaurant de type casse-croûte sur la rue Sherbrooke Est en 1932. Un deuxième ouvrira ses portes en 1944, situé sur le boulevard Décarie, le petit bâtiment en béton de deux étages… rond et orange.

Le bâtiment original du boulevard Décarie.
Photo par Maurice Macot VM94-A0162-018
Archives de la Ville de Montréal.
L’Orange

L’architecture mimétique est un type de construction, souvent publicitaire, en forme d’objet que nous n’associons généralement pas à un bâtiment. La plus populaire de ces constructions est sans contredit la statue de la Liberté à New York. Parce que oui, c’est avant tout un bâtiment. Mais l’architecture mimétique est plus souvent qu’autrement reliée à des édifices commerciaux, comme l’orange de Hermas Gibeau.

Durant les années 50, les casse-croûtes de ce genre ont la cote. Juste à penser aux endroits comme Dilallo Burgers ou DicAnn’s. Gibeau se démarque avec ses soirées hot-rod très populaires. Les serveuses en patins à roulettes vous apportent votre commande directement à la fenêtre de votre auto et je ne sais si c’est l’influence d’Hollywood, mais j’imagine un « road movie » de James Dean. Le moins qu’on puisse dire c’est que le coup de marketing est réussi. Gibeau Orange Julep aura même une troisième succursale sur la rue Lajeunesse face au parc Ahuntsic. Celle-ci sera aussi une boule orangée en béton qui sera démoli à la fin des années 70 pour faire place à un McDonald’s.

La famille Gibeau se voit le besoin de démolir le restaurant quand celui-ci sera exproprié au début des années 60 par l’agrandissement du boulevard Décarie qui fera place à l’autoroute 15. C’est en 1965 qu’ouvrira le nouveau restaurant, une sphère orange en fibre de verre de 40 mètres de diamètre fabriquée par un manufacturier de piscine. La structure invisible sous la sphère n’est qu’un simple édifice de bloc de béton, rien de bien excitant, mais qui reste tout de même assez mystérieux.

Si les soirées « de chars » sont encore bien courues aujourd’hui, les patins à roulettes ont été mis de côté en 2005 suivant des complications avec la CSST (CNESST) qui obligeait le personnel à porter casque et genouillères. En 2009, la succursale originale d’Hermas, ouverte en 1932 sur la rue Sherbrooke Est ferme ses portes. Aujourd’hui, le commerce et la marque appartiennent toujours à la famille Gibeau, celle-ci par contre a quitté Montréal depuis un certain temps. Le propriétaire est une compagnie à numéro du Québec, mais les administrateurs, dont Raymond Walter Gibeau, sont tous résidents de Key Biscane en Floride.

Gibeau Orange Julep, rue Sherbrooke Est.
Photo Gabor Szilasi, 1985
Le julep, la recette

Si les burgers sont quand même bons et les frites graisseuses à souhait, c’est bien sûr le jus à la recette secrète qui attire les amateurs ici depuis plus de 70 ans. Le jus julep est maintenant disponible en magasin et il existe même quelques recettes en ligne, mais saviez-vous qu’elle a été brevetée par l’actuel propriétaire en 1993 et qui dit brevet, à cette époque de l’internet, dit que la recette est disponible sur le site de l’Office de la propriété intellectuelle du canada.

Selon le brevet no 2083584 déposé en anglais par M. Gibeau, la recette nous explique que le jus de fruit est désacidifié par le mélange de lait écrémé en poudre et de pectine avant d’ajouter le concentré de jus et la saveur de vanille naturelle. Cela nous donne une boisson julep avec une sensation en bouche typiquement douce tout en étant beaucoup moins acide à l’estomac que le jus traditionnel. Voici les ingrédients qui nous donneront 1 litre sont indiqués ainsi;

  • 556 ml d’eau
  • 364 ml de jus d’orange reconstitué
  • 80 ml de saccharose
  • 2.8 g de lait écrémé en poudre
  • 0.13 ml de vanille naturelle
  • 0.03 g de pectine

En réalité, cette recette est probablement pour le jus que vous retrouverez en magasin et je suis bien certain que la recette en restaurant utilise du jus d’orange Sunkist frais. Il y a quelque chose de réconfortant et de nostalgique dans une visite chez Gibeau Orange Julep et ces sentiments ont bien été traduit dans ce petit court métrage d’Alana Cymerman et mettant en vedette Emmanuel Schwartz (Laurence Anyways, Blue moon). Julia Julep est la petite histoire de ce qui se passe à l’intérieur de la grosse orange.

À votre prochaine visite, vous pouvez compter sur beaucoup de plaques d’immatriculation étrangères, des gens qui se prennent en photos avec leur boisson à l’orange pour capturer le moment exacte de leur visite. En 2017, l’immeuble est un favori des Instagrammeurs et des foodies, parce qu’il n’y a rien de mal à manger gras de temps en temps et Gibeau Orange Julep est une des meilleures places pour le faire.

Avertissement, ce texte n’est en aucun cas commandité par la famille Gibeau, mais s’ils veulent bien me payer en julep pour la publicité, je ne dirais pas non.

Commentaires

Martin Bérubé Écrit par :

Amoureux de Montréal, fasciné par l'histoire de la ville, son urbanisme et sa toponymie, ni historien ni spécialiste du sujet, Martin n'était même pas né à l'époque de 99% des sujets discutés de ce site. Il aime trouver des réponses aux questions qui sont posées. Les billets que vous lisez ne sont que les résultats de la quête vers des réponses et le besoin de partager.